Culture

«La mélancolite» : comme une odeur de «Fin du monde est à 7h»

L'affiche officielle de La mélancolite, disponible sur ICI Tou.tv

L'affiche officielle de La mélancolite, disponible sur ICI Tou.tv

L’inoubliable Fin du monde est à 7 heures célébrera ses 25 ans en septembre et… aucun événement particulier n’est hélas prévu pour souligner cet important anniversaire télévisuel. Aucune retrouvaille ne doit prochainement ramener à la vie le bulletin de nouvelles le plus divertissant à avoir décapé les ondes québécoises. Pardonnez-nous pour le fugace faux espoir.

À la place, Bruno Blanchet sort du garde-robe ses Tite-Dent, Petit bonhomme pas de cou, Gros Gin, Anne-Marie Losique (et ses proéminentes babines), Bébelle et Gazou, le Plombier magique et le Mime, qui n’ont de toute façon jamais cessé d’exister dans l’imaginaire collectif, et les ressuscite dans La mélancolite, une fiction à mi-chemin entre la websérie complètement absurde et le film d’auteur, pour laquelle le qualificatif «décalée» apparaît comme un euphémisme. La mélancolite, c’est une drôle de «bibitte» télévisuelle, de la trempe de celles dont seul Bruno Blanchet a le secret.

En tête-à-tête sur Zoom, depuis Bangkok, en Thaïlande (où il faisait 30 degrés au moment de la conversation, avec 11 heures de décalage!) où il habite depuis quelques années, le principal intéressé acquiesce vivement à la comparaison. La mélancolite, affirme-t-il, a été pensée comme un film, parce que son univers, sur papier, se découpait difficilement en tranches courtes. Fier comme un paon, il défie quiconque de deviner la fin de cette œuvre singulière.

C’est un cadeau qu’on s’est fait à l’écriture: on voulait avoir quelque chose de vraiment imprévisible. Si tu découvres la fin avant le temps, cours au dépanneur t’acheter un billet de loterie!

Bruno Blanchet

Du «gros n’importe quoi»

C’est en postproduction qu’on a morcelé en dix épisodes de 10 minutes cette histoire «quasiment basée sur des faits vécus», sans queue et encore moins de tête, dans laquelle Guy Jodoin, atteint de «mélancolite» – grave nostalgie du passé qui empêche de bien vivre au présent – touche le fond du baril et appelle à l’aide son ami Bruno, qui accourt de l’Asie pour le secourir.

Histoire de guérir son vieux frère d’armes comiques, Blanchet part en roadtrip, de Gatineau à Gaspé, accompagné de Vincent (alias le rappeur FouKi), le neveu de Guy. Il croisera au passage ses vieux compagnons inventés cités ci-dessus, ainsi que de véritables ami.e.s, comme (la vraie) Anne-Marie Losique, Guylaine Tremblay, Francis Reddy, Christian Bégin, Emmanuel Auger, Georges St-Pierre…

Il est question d’une fille illégitime baptisée Cédille (incarnée par Jade Barshee), de Guy Jodoin qui fait le bébé, de vengeance envers Bruno Blanchet et d’une «alerte brune» qui résonne haut et fort…

Bruno Blanchet dans La mélancolite.
Courtoisie Radio-Canada

Bref, c’est «du gros n’importe quoi». À interpréter positivement ou négativement, selon que vous soyez ou pas adepte du monde de Blanchet.

Marc Labrèche est aussi de l’aventure.

«Je n’aurais rien pu concevoir sans que Marc soit là. Pour te donner une idée, Marc joue Dieu. Il est là, dans mon panthéon… Et il nous offre une performance magnifique!»

Du Studio à la nostalgie

La trame de La mélancolite n’est donc en quelque sorte que prétexte à s’amuser avec une douce nostalgie qui n’a jamais cessé de suivre Bruno Blanchet comme son ombre. Car c’est bien vrai: deux décennies et demie après avoir fait la pluie et le beau temps dans les locaux de feu TQS, alors que Bruno Blanchet est maintenant âgé de 58 ans et deux fois grand-papa, on lui demande encore et encore d’imiter Tite-Dent et son Petit bonhomme pas de cou. Des enfants qui n’ont jamais connu La fin du monde… sont capables de le caricaturer. Il s’en émeut.

«C’est fantastique! Et de savoir que ça sort de nous, que ça appartient au monde, et qu’on le réclame encore aujourd’hui, c’est la raison première pour laquelle j’ai fait La mélancolite. Ces personnages auraient pu ne plus jamais exister. On va maintenant voir s’ils survivent à l’épreuve du temps. C’est un terrain de jeu extraordinaire.»

Quand on remet les costumes, tout nous revient instantanément; c’est comme faire du bicycle, ça ne se perd pas. La même folie s’empare de nous. Et on a l’impression de faire des mauvais coups (rires).

Bruno Blanchet

Les plus jeunes ignorent peut-être que c’est à CIBL que Bruno Blanchet a commencé à exercer son humour débridé, loufoque, farfelu, sens dessus dessous, et quoi encore. D’abord simples voix nées au Buzz Show (notamment avec Philippe Laguë de À la semaine prochaine, à ICI Première), ses alter ego aux gloussements gutturaux et aux monosyllabes rigolos ont ensuite pris corps et visages dans les sketchs du Studio de Canal Famille, en 1995, avec Guy Jodoin.

«Au Studio, ils nous avaient donné carte blanche, sans savoir de quoi on était capables, s’émerveille-t-il. Notre metteur en scène, Gilbert Dumas, nous avait alors fait travailler très, très fort. Aujourd’hui, Gilbert apparaît dans La mélancolite, et il joue le rôle de quelqu’un qui reçoit un bon coup de pelle en arrière de la tête… (rires)»

De là, le concepteur Stéphane Laporte et Marc Labrèche ont remarqué Blanchet et l’ont invité à se joindre à La fin du monde est à 7h, à titre de «clown de service» – il le dit tendrement – en opposition aux reporters qu’étaient Isabelle Maréchal et Jean-René Dufort.

«Pendant trois ans, 24 heures par jour, je ne pensais qu’en fonction de faire des jokes avec quelque chose. Le soir, à six heures moins dix, on pouvait me dire en panique: “Bruno, il nous manque deux minutes, va mettre un costume, invente-nous quelque chose!” C’est comme ça qu’est né Tite-Dent, par exemple. La nécessité est la mère de l’invention. La fin du monde est la mère de l’invention! On avait huit costumes, et je les ai mis à l’endroit, à l’envers, et à l’envers d’à l’envers… On a tout étiré jusqu’à son maximum.»

Guy Jodoin dans La mélancolite
Courtoisie Radio-Canada

Autopsie d’un cerveau

Mais ils viennent d’où, ces joyeux délires, ensuite poursuivis dans N’ajustez pas votre sécheuse? Si on essayait de faire l’autopsie du cerveau de Bruno Blanchet, qu’y trouverait-on?

On imagine que la question lui a été posée 200 fois. Notre interlocuteur écarquille pourtant les yeux et demeure bouche bée quelques nanosecondes avant de tenter une réponse hésitante.

«C’est une excellente question… Mes influences sont très nombreuses et variées: ça va de Yvon Deschamps à Monty Python, de Andy Kaufman à La Fricassée. Je viens d’une époque où les gens étaient un peu pétés. Dans les années 70, les séries pour jeunes que je regardais… ce n’était pas toujours évident! (rires) On se demande dans quel état était l’auteur… Mon cerveau est peut-être un peu twisté! Pourtant, dans la vie, je suis quelqu’un de très cartésien.»

«Souvent, quand on me demandait d’imiter quelqu’un, je demandais à cette personne d’imiter l’autre personne en question. Et j’imitais quelqu’un qui imitait quelqu’un, poursuit Blanchet en riant. Je me servais beaucoup de l’équipe de La fin du monde…, qui m’aidait à concevoir mes folies. Souvent, en tournage, mon caméraman, Michel Désilets, me disait que ce que je faisais n’avait pas de sens; et, le lendemain, après avoir vu le montage à la télévision, il trouvait ça hilarant.»

Et la suite? Renouera-t-on avec Bruno Blanchet le fantaisiste, ou Bruno Blanchet le grand voyageur, dans un nouveau projet à court terme? Le créateur ne «le sait pas trop».

«Moi, j’y vais à la pièce. Si j’ai assez d’argent pour vivre, je suis bien correct. Je n’ai besoin de rien m’acheter, dans la vie…»

La série La mélancolite est disponible sur ICI Tou.tv. Bruno Blanchet a aussi un balado, L’Académie de voyage de Bruno Blanchet, accessible sur OHdio.

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