Derrière les portes closes du désir et vers une réflexion dérangeante sur notre rapport au sexe, c’est là où nous mènera entre autres ce Tramway nommé désir que signe Serge Denoncourt.
C’est sur la scène même de l’Espace Go, dans l’atmosphère du décor de la pièce Un tramway nommé désir, que Métro a rencontré Serge Denoncourt. La première chose que l’on remarque en arrière-plan est une immense affiche du célèbre film sorti en 1951 et tiré de ce classique de Tennessee Williams, où l’on aperçoit le légendaire Marlon Brando. L’un des plus grands acteurs hollywoodiens qui a marqué à jamais le rôle de Stanley Kowalski, un ouvrier polonais au caractère explosif qui découvre que sa belle-sœur, qui vient de débarquer dans l’appartement minable de La Nouvelle-Orléans qu’il partage avec sa femme, n’est pas aussi vertueuse qu’elle en a l’air.
Manière de dire aux spectateurs: «On sait que vous allez comparer notre Kowalski (interprété par Éric Robidoux) à Brando. Maintenant, peut-on passer à autre chose?» lance Denoncourt.
Sa proposition est alléchante: si le film est passé à l’histoire, parce qu’il suggérait notamment pour la première fois au cinéma l’irruption de pulsions sexuelles, Denoncourt a, dans sa mouture, poussé plus loin certains aspects en retirant les portes du décor. Une production full sexe alors? «Non, c’est la pièce, mais avec une insistance prononcée sur le désir refoulé des personnages. Dans le film, comme dans la pièce initiale, la sexualité est suggérée et s’arrête à l’entrée de la chambre. Ici, on pénètre dans la chambre. On va dans la douche, dans la baignoire, et on se demande ce que font les personnages. Baisent-ils normalement? Violemment? Se masturbent-ils? C’est ce qui retient l’attention. Que serait cette pièce, qui était déjà très moderne à sa création, si elle avait été écrite aujourd’hui? Dans ce qu’on appelle la scène du viol, on entendait le personnage de Blanche crier, puis les lumières s’éteignaient sans que l’on sache de quoi il en retournait. Nous, on a décidé ce qui s’est passé», explique le metteur en scène, en précisant que Williams avait donné de nombreux indices malgré son autocensure, en soulignant que le premier rôle, celui de Blanche Dubois, est le plus beau que l’on puisse imaginer pour une femme. Un peu comme l’est Cyrano de Bergerac pour un homme. Et pourquoi l’avoir offert à Céline Bonnier? «Parce qu’elle est la plus grande actrice au Québec et que l’on ne pense pas délibérément à elle pour ce rôle.»
«Blanche a un besoin sexuel immense. Pour en parler en 1947, on en a fait une folle. En 2015, est-ce qu’une fille qui veut baiser est une folle? Un fond de préjugés à ce sujet est toujours présent. Mais la pièce montre un personnage, très libre sexuellement, qui s’affranchit.» – Serge Denoncourt
Enthousiaste, Denoncourt ajoute que ce personnage est assurément l’alter ego de Tennessee Williams et acquiesce du chef lorsque l’on brosse un parallèle entre Blanche et Nelly Arcan, notamment en raison de l’insatiable et destructible besoin de plaire aux autres. «Avec Blanche Dubois, on évoque d’une certaine façon Nelly Arcan. On parle de Putain. Elle ne s’aime pas. Elle s’est inventé un personnage… On est dans la même thématique. J’avais lu ses livres et, effectivement, on en a abordé le sujet en répétition», confie posément le metteur en scène.
«La magie, c’est ce que je donne aux gens. J’arrange les choses, je déforme la vérité», dit d’ailleurs Blanche à un moment dans la pièce. Voilà un énoncé que Nelly Arcan n’aurait pas renié.
Un tramway nommé désir
À Espace Go
Jusqu’au 14 février
