L’annonce du nouveau studio Raccoon Logic à Montréal n’a pas eu l’effet escompté. Au lieu de se réjouir de l’arrivée d’un nouveau joueur dans l’écosystème local, les cofondateurs Alex Hutchinson, Reid Schneider et Yannick Simard ont plutôt eu droit à des tomates.
Pourquoi? D’abord, il faut savoir que le studio est né des cendres de Typhoon Studios suite à la mort prématurée de Stadia Games. Alex Hutchinson n’est donc pas un nouveau visage, bien au contraire. Il roule sa bosse dans l’industrie depuis 20 ans. Le problème, c’est qu’on se souvient de lui pour les mauvaises raisons.
Vous vous rappelez lorsqu’il disait que les streamers devraient payer les développeurs de jeux? Mieux encore, qu’il était trop complexe d’ajouter des femmes dans le jeu Far Cry 4? Des propos aussi incendiaires et controversés ont tôt fait de nous rattraper. C’est ce qui est en train de se passer avec l’annonce de Raccoon Logic.
L’arrivée du nouveau studio soulève des questions en matière d’inclusivité. Un sujet chaud alors que l’industrie peine à défaire son image de boys club. Tout a commencé par un gazouilli du journaliste Jason Schreier : « Il est assez fou qu’en 2021, un nouveau studio de jeu ressemble encore à ça », a-t-il commenté en lien avec la photo ci-dessous :
Effectivement, Raccoon Logic n’est composé que d’un seul sexe et ce, malgré l’embauche de cinq personnes additionnelles depuis l’époque Typhoon Studios. Étrangement – et c’est là que le bât blesse dans leur cas – l’ancien studio comptait à la fois des femmes et des personnes de couleur. Autant de personnes qui n’ont pas été retenues dans la nouvelle entité, pour des raisons que nous ne saurons sans doute jamais.
Faire preuve d’inclusivité, c’est donner une chance égale à tous et chacun de réaliser ses rêves. Quand l’industrie du jeu vidéo donne l’impression d’une chasse gardée pour des hommes caucasiens, on se dit qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. C’est désolant, car la diversité (de peuples, de religions, de sexe, etc.) est symbole de richesse. Certains l’ont compris, alors que d’autres se réfugient dans leurs stéréotypes.
À mes yeux, l’inclusivité n’est pas un débat, mais une nécessité. Pourtant, ouvrir un dialogue est difficile dans une industrie rongée par la toxicité tous azimuts. À preuve, l’intervention de Jason Schreier lui a valu une pluie de messages acerbes pour ne pas dire cruels, en passant de « tu devrais envisager le suicide » à « putain de raciste malade ». Le tout saupoudré, évidemment, d’un faux lien de causalité avec sa religion (judaïsme).
Antoine Clerc-Renaud
Bien que je sois ravi de voir arriver un « nouveau » studio au Québec, je ne peux m’empêcher d’être triste en voyant cette photo d’équipe. Mais après tout, nous vivons dans une province où le premier ministre élu refuse de reconnaître l’existence du racisme systémique et du profilage racial de la police (qui a coûté la vie à un homme noir la semaine dernière). Et qui dit élu, dit que la majorité de la population votante est d’accord.
Le Québec est également la seule province à avoir mis sur pied un ministère de la lutte contre le racisme et avoir mis à sa tête… un caucasien. Pourquoi? Parce qu’il est marié avec une femme de couleur et a des enfants de couleur « donc il sait ce que c’est que le racisme ». C’est impensable et insultant, et pourtant c’est notre réalité. La diversité du Québec n’est même pas bien représentée dans les médias ou à la télévision. Regardez les nommés au Gala Artis ou les acteurs choisis pour Escouade 99. On se targue d’être une nation multiculturelle et pourtant on ne trouve que des caucasiens ou presque dans le plus grand quotidien du Québec.
Si cela peut sembler bien extérieur au jeu vidéo, c’est au contraire très important, car c’est ce qui conduit à des dérives comme celle de l’équipe de Raccoon Logic qui fait tâche en 2021. Et le fait que l’un de ses cofondateurs balaie cela du revers de la main en disant que c’est du troll est tout aussi insultant. Alors qu’il devrait montrer l’exemple, il se drape dans une posture défensive qui détone avec les jeux vidéo qui sont de plus en plus représentatifs. Mais dans une province comme le Québec en 2021 qui rejette la diversité jusque dans ses plus hautes sphères, ça n’encourage pas les communautés marginalisées à se présenter à un poste dans l’industrie si elles savent qu’elles ne seront pas considérées à leur juste valeur. Dès lors, on reste dans ce cercle vicieux qui ne demande pourtant qu’à être brisé.
Il n’y a qu’à voir le jeu québécois Boyfriend Dungeon paru aujourd’hui qui réussit le pari de la diversité et de l’inclusivité, à la fois dans son équipe de développement et dans le jeu en lui-même, à merveille. Comme quoi, c’est possible. Il faut juste y mettre un peu du sien à tous les niveaux, surtout les plus hauts.
Un texte de Michael Bertiaux de Jeux.ca