Par une froide et lumineuse journée de janvier, lors de laquelle la température ressentie atteignait -17 °C, Mylène Mackay, vêtue d’un élégant manteau vert forêt et de bottes vintage, tournait ses ultimes scènes du prochain film de la réalisatrice Lyne Charlebois, Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles… Métro a eu l’occasion d’assister au tournage, en plus de s’entretenir avec la comédienne et sa co-tête d’affiche, Alexandre Goyette.
Scénarisé par la cinéaste et produit par Roger Frappier, le long métrage s’inspire de la relation épistolaire entre le frère Marie-Victorin, auteur du célèbre ouvrage La flore laurentienne, et la botaniste Marcelle Gauvreau, qui a été son étudiante avant de devenir son assistante.
Avec leurs Lettres botaniques, échangées de 1933 jusqu’à la mort du religieux, en 1944, ces deux scientifiques aussi pieux que passionnés de la nature ont exploré la sexualité humaine sous toutes ses coutures, détaillant leur anatomie, leurs désirs charnels et autres réactions corporelles.
Braver la tempête
Le tournage a ravivé les années 30 et 40 au square Saint-Louis, dans le Plateau Mont-Royal. Pour les besoins de la reconstruction historique, de rutilantes voitures d’époque bordaient le parc, qui accueillait une authentique boîte aux lettres d’antan de Postes Canada. Dans la scène, Marcelle Gauvreau brave une tempête de neige afin d’y déposer une missive.
Si le froid était au rendez-vous, ce n’était pas le cas de la neige. D’ailleurs, quel est le secret de la fausse poudrerie, crachée par des machines souffleuses? De la poudre… de pomme de terre!
Amour chaste
Le rôle d’une botaniste était taillé sur mesure pour l’interprète de Marcelle Gauvreau, Mylène Mackay, qui est « née dans un jardin » entourée d’une mère herboriste et d’un père enseignant au Jardin botanique, raconte-t-elle en entrevue avec Métro, vêtue d’une robe d’époque.
La scientifique était « une femme à la fois de son temps et hors de son temps », estime la comédienne, qui personnifie Marcelle Gauvreau pour la seconde fois en carrière, après en avoir incarné une version fantasmée (qui insérait ses orteils dans la bouche d’Yves Jacques, campant Marie-Victorin) dans le film Les fleurs oubliées d’André Forcier.
Le fondateur du Jardin botanique et son assistante ont eu « des échanges sur la sexualité humaine tellement poussés qu’on peine à croire que ça s’est passé dans les années 30, 40 », souligne Mylène.
Marcelle Gauvreau ne se sera jamais mariée, allant à l’encontre des conventions de l’époque, consacrant sa vie à l’enseignement et à la vulgarisation des savoirs botaniques.
C’est à la lecture des Lettres biologiques – Recherches sur la sexualité humaine, publiées en 2018, que l’on peut comprendre que les scientifiques sont tombé.e.s amoureux.euse, estime Mylène Mackay.
« Ils ont sublimé leur amour à travers leur travail et la curiosité intellectuelle qui les anime », expose Alexandre Goyette, l’interprète de Marie-Victorin.
D’ailleurs, le film, qui est également une ode aux beautés de la nature, emploie ces dernières comme métaphores de leurs chastes émois.
Les complices dévots n’ont jamais — du moins, selon ce que l’on en déduit de leurs lettres — passé ensemble à l’acte charnel. « Ce qui me fascine, c’est qu’on fait un film sur leur relation, mais la vérité, ce qu’ils ont vraiment vécu, on ne la connaît pas, fait remarquer Mylène. On sait ce qu’ils se sont écrit. »
Abstinence… contrainte?
Il peut être ardu de faire abstraction d’une perspective féministe lorsqu’on s’attarde à la chasteté de Marcelle Gauvreau qui, contrairement à son mentor de plus de 20 ans son aîné, n’avait pas, elle, fait vœu d’abstinence.
Sa chasteté relevait-elle d’une forme d’assujettissement à son collègue en soutane? Pas de l’avis de Mylène, qui a lu leur correspondance.
« Elle ne pouvait pas être une incitatrice à ce qu’il défroque, et je ne pense pas que c’est ce qu’elle voulait. Marcelle était très pieuse; elle ne voulait pas qu’il quitte son amour de Dieu pour elle. Ils croyaient vraiment au paradis, à la culpabilité. Il y avait une terreur à l’idée de faire l’amour hors mariage. Je ne pense pas qu’il y avait un rapport de domination entre les deux. Ils se mettaient sur un piédestal, s’admiraient. »
« Mais c’est sûr que la femme n’avait pas la place qu’elle a aujourd’hui, poursuit-elle. Elle restait la secrétaire de l’homme, elle était moins payée et dans l’ombre. »
Voilà pourquoi la comédienne se réjouit que le nouveau long métrage de la réalisatrice de Borderline mette au premier plan cette pionnière qui a collaboré à la Flore laurentienne de Marie-Victorin, tout en montrant la relation profonde, presque « mystique » les unissant, dit Alexandre Goyette.
Soulignons que le film constitue une mise en abyme : Mylène Mackay et Alexandre Goyette incarnent en fait deux interprètes — dont l’idylle extraconjugale interfère dans leur travail — qui campent les deux scientifiques dans un film.