De 2016 à 2020, l’autrice Camille Paré-Poirier visitait chaque semaine en CHSLD sa grand-mère bien-aimée aux prises avec un alzheimer croissant et, instinctivement, a enregistré leurs échanges. Après en avoir tiré un bouleversant balado, Quelqu’une d’immortelle, la comédienne ravive les paroles de la nonagénaire dans sa création solo Je viendrai moins souvent, présentée au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 13 mai.
Pauline, qui s’est éteinte alors qu’elle était isolée à cause de la pandémie, n’aura finalement jamais vu la pièce ni entendu le balado en trois épisodes qui ont immortalisé ses mots.
Ces projets, que la créatrice s’exprimant régulièrement au micro d’Il restera toujours la culture à ICI Première voit comme étant complémentaires, révèlent avec sensibilité aux personnes qui n’auraient jamais vu dépérir à petit feu un être cher cette tragique réalité. Couplée à l’isolement pandémique.
Beaucoup de lumière ressort tout de même du soin que l’on prodigue à quelqu’un de gravement malade, assure Camille Paré-Poirier en entrevue avec Métro. « C’est de ça que j’avais envie de parler. »
Du balado à la scène
Écrire une pièce inspirée de la complicité unissant l’autrice à sa grand-maman coulait en fait de source. Avant la pandémie, la Rosepatrienne planchait déjà sur une fiction s’en inspirant, sans toutefois mettre de l’avant ses enregistrements. Mais à force de les écouter s’est imposé le format balado.
« La force, c’était la voix de Pauline, relate Camille Paré-Poirier. Je trouvais ma vérité plus forte que la fiction dans ce cas-ci. »
Or, elle n’avait pas tout dit. Grâce à la pièce, elle approfondit certaines archives « plus délicates, plus étranges ou dures à écouter », énonce-t-elle. Comme des moments où Pauline ne la reconnaît pas ou est en proie à la démence.
« Prendre soin de quelqu’un de malade, ce n’est déjà pas facile… mais prendre soin de quelqu’un de malade qui nous engueule et qui ne nous reconnaît pas, c’est très dur, souligne Camille. Pour des personnes qui n’ont jamais assisté à ça, c’est intéressant de voir jusqu’où ça peut aller. »
Délaisser la pudeur
Si dans le balado Camille faisait montre d’une certaine pudeur à l’égard des émotions que lui infligeait la déliquescence cognitive de Pauline, sur scène, elle se révèle davantage.
« C’est tellement impudique ce que j’offre de la vie de Pauline que je n’avais pas le choix de me révéler autant qu’elle. Le deuil, la tristesse qui découlent de la perte d’une personne qu’on aime, ce sont des émotions par lesquelles je pense qu’il est sain de passer. »
Le temps qui s’est écoulé après le décès de sa grand-mère lui a permis de mieux savoir ce qu’elle voulait en dire. « Je ne suis pas en train de faire ma thérapie sur scène », précise Camille.
Et la scène lui apparaissait comme un lieu réconfortant où s’épancher davantage. « Je ne savais pas dans quel contexte les gens allaient écouter le balado, tandis qu’au théâtre, on est ensemble durant une heure et demie, comme unis par un contrat. On peut atterrir ensemble après », fait remarquer l’actrice, qui n’avait pas foulé les planches depuis quelques années.
La pièce lui permet en outre d’accentuer le triste et le drôle de certaines situations. « Il y a plus de rythme dans la pièce, plus d’humour. Et plus on veut aller haut, plus il faut aller bas. On danse là-dedans », illustre-t-elle.
« J’ai envie de plonger dans tout ce qu’il y a d’hilarant et de sublime, mais aussi de tragique dans le fait d’être proche aidante. »
Scène chaleureuse
De la mise en scène, espèce de symbiose entre maison et chambre d’hôpital, émane de la chaleur, Camille évoluant « dans un espace qu’on sent qui a déjà été habité et qui est réinvesti par le souvenir », explique à Métro le metteur en scène Nicolas Michon. Enveloppants, des camaïeux de bleus évoquent le deuil et la mélancolie.
Des éléments du quotidien, couvertures, lampes et autres objets personnels, trônent sur les chariots à étages servant à recueillir les plateaux de nourriture dans les centres de soins.
Les extraits audio revêtent une telle importance que la conceptrice sonore sera sur le côté de la scène, non loin de Camille, manière d’humaniser les archives, plutôt qu’elles partent de nulle part aux yeux du public, raisonne Nicolas.
Apaisement du recul
Durant les années où elle enregistrait Pauline, Camille Paré-Poirier, alors arrivée depuis peu à Montréal, traversait une période difficile, le balado témoignant de sa solitude, son désœuvrement, son ennui. Par le caractère intimiste du format, l’on s’attache à la narratrice.
L’entrevue était donc l’occasion de lui demander comment elle se portait aujourd’hui. Et elle va super bien! lance-t-elle. « Je ne pense pas que je serais ici en train de parler du projet si je n’allais pas bien. C’était important qu’il y ait un pas de recul. Ça appartient déjà au passé pour moi. »
La pandémie a été pour elle un « électrochoc », sur les plans relationnel, professionnel, personnel. « Ça a créé une espèce de rapport à l’absurde, et j’ai décidé de plus m’amuser et de plus me faire confiance. Je me mettais beaucoup de limites avant en essayant d’atteindre une certaine perfection. Aujourd’hui, je vois plus la vie et mes projets comme des démarches, des tentatives. »
Et bien que l’histoire qu’elle relate soit triste, voire âpre par moments, Camille Paré-Poirier y a puisé de la « paix intérieure ».
« Je pense qu’on a très peur de la mort, c’est peut-être pour ça qu’on invisibilise beaucoup la vieillesse, la maladie, expose-t-elle. Je voulais prendre le temps d’en parler parce qu’il y a quelque chose de très concret dans le fait de prendre soin de quelqu’un qui a besoin de toi pour survivre. Ça apporte une attention différente à nos gestes, aux vies qu’on mène. »
Et de son intimité, elle touche à l’universel.
Un prix pour Camille Paré-Poirier
Grâce à Je viendrai moins souvent, Camille Paré-Poirier a remporté le Prix écriture dramatique pour la saison 2022-2023 du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, a-t-on appris le 31 mai. C’est le public du théâtre de la rue Saint-Denis, convié à indiquer son degré d’appréciation d’une pièce après chaque représentation, qui lui a décerné cette récompense. L’autrice reçoit ainsi une bourse de création de 10 000 $ attribuée par le Fonds de dotation Michelle-Rossignol.