Une partie de moi a envie de faire du déni. La semaine dernière, nous n’étions pas en train de parler d’avortement. C’était un droit acquis. Et tant qu’on n’en parlait pas, la menace de nous retirer ce droit semblait ne pas exister, même si les organisations de planning des naissances savent combien cette prérogative sur nos propres corps est fragile.
N’étant pas constamment en train de m’assurer que je peux continuer à disposer de mon utérus comme je l’entends, je me fie à ces organisations pour veiller au grain. La semaine dernière, la Fédération du Québec pour le planning des naissances soulignait que les débats sur l’avortement aux États-Unis trouvaient des échos chez nous.
En Ontario, plusieurs députés du gouvernement Ford ont participé à une marche contre l’avortement le 9 mai dernier. Au Québec, une médecin de Laval s’est rendue en Cour supérieure pour demander la révocation de l’interdiction de manifester devant les cliniques d’avortement. Les femmes qui ont eu recours aux procédures d’IVG savent à quel point il s’agit d’une technique passive-agressive d’intimidation.
En Alberta, le premier ministre, Jason Kenney, a beau dire qu’il n’ouvrira pas le débat sur l’avortement, les militants là-bas se réjouissent de la nomination d’Adriana La Grange, l’ancienne présidente d’une organisation anti-avortement, comme ministre de l’Éducation. Il en va de même du chef conservateur, Andrew Scheer : il peut bien affirmer qu’il ne remettra pas en question le droit des femmes à disposer de leur corps pour ne pas s’aliéner des votes plus progressistes, la participation de 12 députés conservateurs à une marche contre l’avortement envoie le signal contraire. Un signal réconfortant pour l’électorat conservateur, de plus en plus décomplexé d’aborder cette question.
On partage ces coups d’éclat pour s’en offenser ou en rire, oubliant que c’est exactement comme ça que Trump a été élu.
Voilà mon inquiétude. Il semble que plus on parle d’avortement, plus on en fait un objet de débat. Alors qu’on pense s’indigner à l’unisson dans nos chambres à écho, on donne de la visibilité à des discours qui étaient relégués aux marges, et qui trouvent maintenant un ancrage dans la politique. Un de ceux qui en profitent, c’est Maxime Bernier. Il ferait n’importe quoi pour avoir de l’attention, et on dirait qu’il vient de constater que s’en prendre aux femmes est un bon filon. Sa campagne contre la distribution gratuite de produits menstruels dans la fonction publique a été particulièrement généreuse en poids médiatique. Cette semaine, il semblait tester la température de l’eau en matière de droits reproductifs dans une conférence de presse où il se moquait aussi de l’idée de présenter un nombre égal de femmes et d’hommes dans son parti, sous prétexte que «certaines femmes ont d’autres priorités». On rit, mais pour plusieurs, les produits menstruels et la parité sont des enjeux tout à fait ridicules, dont il est très payant de se moquer.
On partage ces coups d’éclat pour s’en offenser ou en rire, oubliant que c’est exactement comme ça que Trump a été élu. Maxime Bernier calque la stratégie point par point. Il y a lieu de se questionner sur les gains qu’on lui confère en lui donnant autant d’attention pour ses pitreries. De même, sans remettre en question la nécessaire opposition, on peut se demander de quelle façon l’attention que l’on accorde à l’enjeu de l’avortement n’est pas en train de normaliser un débat qui ne devrait même pas avoir lieu d’être.