Je trouve l’expression «humour ethnique» galvaudée. C’est un peu comme l’expression «musique du monde». De l’humour, c’est de l’humour. De la musique, c’est de la musique! Il existe différents genres certes, mais cette propension à vouloir indexer certains groupes dans des catégories distinctes quand il s’agit de culture est selon moi contre-productif.
Jusqu’à récemment, il était presque impossible pour un jeune issu de l’immigration de s’imaginer faire carrière dans l’humour. Les bancs de l’École nationale, les planches des grandes salles ou festivals et les grands réseaux ne laissaient pas entrevoir des possibilités dans le milieu. Anthony Kavanagh et Michel Mpambara ont été des précurseurs à une époque où l’humour francophone québécois était très monolithique. Rachid Badouri et Sugar Sammy ont pavé la voie pour créer ce type d’humour qui mise sur la richesse et la force de la diversité. Eddy King a inspiré toute une génération qui ne se reconnaissait pas et qui avait soif de raconter ses histoires. Mariana Mazza et Garihanna Jean-Louis ont, chacune à leur manière, changé le regard qu’on porte sur les femmes humoristes. Le duo Aba & Preach a, quant à lui, créé une onde de choc en créant sa propre plateforme sur le web, sans compter sur l’acceptation du milieu pour se faire entendre. Des parcours uniques, mais encore très marginaux.
On observe, depuis quelques années, un changement dans le paysage humoristique francophone québécois. Encore en marge du réseau conventionnel, des jeunes issus de la diversité créent leurs plateformes pour faire tomber les frontières de l’humour. On peut penser aux soirées Bad Boys du Rire initiées par l’humoriste Renzel Dashington qui ne cessent de gagner en popularité. Qu’est-ce qui explique le succès de cet évènement et la raison qui pousse autant de jeunes à y participer et y faire leurs premières armes en humour? Quand on est jeune, l’humour peut être une défense, par la suite il peut devenir une arme. On n’a qu’à penser à des humoristes comme Anas Hassouna, Neev, Adib Alkhalidey ou Mehdi Bousaidan qui utilisent l’humour pour créer des espaces de réflexion sains autour d’enjeux de société actuels et politisés. Dolino a une manière unique de raconter le choc Afrique-Québec qui ne peux laisser indifférent.
L’humour des jeunes issus de l’immigration est nécessaire et utile. Il doit être plus accessible et ne pas être confiné à des petits bars. Les grands réseaux et festivals doivent porter une attention particulière à cette nouvelle génération d’humoristes qui, de par leurs contenus, fédèrent des communautés et bâtissent des ponts. Au-delà du terme ethnique qu’on lui associe, cet humour permet de comprendre la société dans laquelle on vit. Il permet d’aller à la rencontre de nos concitoyens et de les connaître davantage. Il nous fait réaliser que nous avons plus en commun que nous nous imaginons. L’humour est le chemin le plus court d’un humain à un autre, mais pour aller plus loin, je cite cette phrase d’André Santini: «L’humour est une forme de révolte. C’est aussi un remède à la colère, à l’emportement ou à la déprime; il humanise les rapports, facilite l’irrigation du cerveau, décontracte les nerfs». Ces jeunes ne sont pas que colère, loin de là. Par l’humour, ils veulent prendre leur place, affirmer qui ils sont, raconter leurs histoires, déconstruire les préjugés et surtout faire rire au-delà des différences. Ne reste qu’à souhaiter qu’ils le fassent devant des salles bondées.