Voilà la question qui était sur toutes les lèvres à la rentrée parlementaire de 1962 à l’arrivée de Claire Kirkland-Casgrain, première femme élue au parlement de Québec.[1]
Arrivée dans une enceinte exclusivement masculine et dans une société sous forte influence catholique, Mme Kirkland-Casgrain a été dès le départ confrontée aux symboles religieux sexistes. En effet, les pratiques religieuses sexistes étaient bien présentes dans l’espace publique avant la révolution tranquille. Ainsi, alors que les hommes devaient avoir la tête découverte pour entrer au Parlement[2], il était «de bon ton et respectueux pour les femmes, de porter un chapeau pour une visite au Parlement, un peu comme on le faisait pour l’église»[3].
Même si aucun règlement, loi ou mention ne faisait référence à cette norme vestimentaire, selon l’église catholique, les femmes devaient de se couvrir la tête par modestie[4] et par respect de l’autorité de l’homme dont elle dépendait[5].
C’est donc la pression sociale et religieuse omniprésente de l’époque qui dictait cette norme sexiste. Dans ce Québec très catholique, les symboles sont forts. En 1962, un fonctionnaire du parlement demande à une journaliste qui désire assister à une séance parlementaire, de se couvrir la tête. Lorsqu’elle fait remarquer que Mme Kirkland-Casgrain est tête-nue, un collègue lui répond : «C’est un député, ce n’est pas une femme. Elle en est dispensée.»[6].
Heureusement, l’église a perdu de son influence au fil des ans. S’ajoute, à cette perte de pouvoir, la Déclaration universelle des droits de l’homme, en 1948, qui proclame haut et fort la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine, quels que soient leur sexe, origine ethnique ou nationale, couleur, religion, etc. et ce, sans discrimination et sur un pied d’égalité.
La «dignité» réfère au «respect que mérite quelqu’un, quelque chose; au respect de soi.»[7] Difficile d’être digne lorsque la norme impose, à l’un des deux sexes, le port d’un vêtement symbolisant la «modération, la retenue dans l’appréciation de soi-même [8]» et la reconnaissance de l’autorité de l’homme.
D’hier à aujourd’hui, les symboles religieux sexistes ont toujours nui à la dignité et aux droits des femmes à l’égalité au Québec. Ce n’est pas le rôle de l’État de réguler les pratiques religieuses sexistes, mais il a le devoir de s’assurer que ses citoyens soient libres de leur choix (via la protection de la liberté de conscience) et que ses institutions en soient exemptes
Chapeau vs hijab : différentes époques, même combat pour les droits des femmes
Aujourd’hui, c’est le hijab, symbole de modestie et de pudeur, qui fait parler de lui. Ce signe distinctif, porté exclusivement par les femmes, envoie un message discriminant. Qu’il soit porté par choix ou par conformisme religieux, il s’agit d’un symbole sexiste qui nuit à l’atteinte de l’égalité entre les hommes et les femmes.
Comme le disait le Conseil du statut de la femme en 2011 : «N‘oublions pas que lorsque l‘État accepte ces signes, il les avalise. La répétition et la prolifération des signes religieux au sein de l‘État contribuent à renforcer le message religieux qui, en lui-même, peut être sexiste et porteur de discrimination envers les femmes. Le message religieux n‘est pas que religieux. La religion véhicule des valeurs qui parfois peuvent être synonymes de violence, d‘inquisition, de patriarcat, etc.»[9]
Un État laïque, avec une séparation stricte avec l’église, favorise une vision citoyenne, un réel vivre-ensemble. Cette laïcité permet le développement démocratique de l’égalité entre les femmes et les hommes en servant de rempart aux symboles religieux sexistes lors de la prestation de services publics.
C’est le cas de la Turquie et de la Tunisie, où la religion tente aujourd’hui de reprendre son emprise. Dès que ces pays se sont éloignés des dictats religieux, les femmes ont acquis des droits, et le voile qui cachait leurs cheveux s’est évaporé. Alors que la religion revient en tant que force politique, les droits des femmes tendent à reculer et le voile des femmes à étendre de nouveau son ombre.
De tout temps, des hommes ont accompagné les femmes sur la route de l’émancipation. C’est encore ensemble que les Québécoises et les Québécois de toutes origines parviendront à défendre la laïcité de l’État au Québec pour ainsi parachever un des grands défis de la Révolution tranquille et atteindre une égalité réelle entre les sexes.
Marie-Claude Girard, Cantley (Qc) et Radhia Ben Amor Montréal (Qc)
Références
[2] Dans les années 60, l’article 62 du règlement de l’Assemblée nationale du Québec stipulait que «les représentants du peuple doivent être découverts lorsqu’ils entrent, sortent, ou vont d’une place à l’autre» et l’article 242 de l’Assemblée législative ordonne que tout député qui veut adresser la parole doit avoir la tête découverte )
[3] Le Soleil du 6 janvier 1962
[4]Code de droit canonique édition de 1917, canon no 1262 consultable sur le site internet Clerus de la Congrégation pour le clergé auprès du Saint-Siège
[6]Le Nouveau Journal du 17 février 1962
[7] Définition de dignité, selon le Robert
[8] Définition de ‘modestie, selon Le Robert
[9] p.102