Débats

Non, M. Émond, le gaz n’est pas une énergie de transition

Un gazoduc doit transporter le gaz naturel vers le complexe de GNL Québec.
Jean-Pierre Finet - Collaboration spéciale

Lettre ouverte à Charles Émond, président-directeur général, Caisse de dépôt et placement du Québec

Monsieur, 

Fin septembre, la Caisse annonçait son retrait progressif du pétrole, mais pas du gaz. Le Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ) est extrêmement déçu de cette nouvelle. Si nous ne pouvons qu’être en accord avec votre sortie du pétrole (une sortie, ceci dit, qui arrive au moment où le pétrole devient un risque financier inacceptable pour la Caisse), nous ne pouvons nous taire devant le manque de vision que représentent des investissements dans l’industrie du gaz. 

Le gaz — sous toutes ses formes — est un hydrocarbure polluant, fort émetteur de méthane, qui contribue de manière significative aux changements climatiques. Il ne s’agit pas d’une énergie de transition. 

Dans un article publié le 29 septembre dans La Presse, vous mentionnez : « Le gaz peut être verdi. C’est la seule solution de rechange et on en a pour un bout de temps. » 

Or, c’est inexact. Dans certains cas, le gaz pourrait en effet devenir légèrement plus vert – mais dans la majorité des cas, sur l’ensemble de son cycle de vie, il reste – et resterait – à peu près aussi polluant que le pétrole. Son extraction par fracturation demeure, et de loin, la majeure partie de l’industrie. S’il semble alléchant de voir le gaz de schiste se transformer en hydrogène, ou de faire de nos déchets de table du gaz naturel renouvelable (GNR), il s’agit là de solutions qui risquent, plutôt que de nous approcher d’une transition efficace, de nous en éloigner en pérennisant une industrie dangereusement polluante, joliment déguisée de jupons verts. 

La capacité de production de GNR réellement « vert » (c’est-à-dire résiduel) est faible, peu rentable. Celle de l’hydrogène réellement écologique est encore plus faible, encore moins rentable. Financer l’industrie du gaz, qu’il soit « verdi » ou non, veut surtout dire pérenniser le gaz de fracturation et perdre un temps précieux, ainsi que gaspiller des ressources financières, qui pourraient être investies dans le développement d’alternatives réellement viables. 

La première, la plus logique et la plus efficace, est de viser une réduction de la demande énergétique, notamment par des investissements massifs en efficacité énergétique et en gestion intelligente, intégrée, de nos ressources énergétiques. Il nous faut aussi repenser la manière dont nous habitons le territoire et consommons. Les innovations en énergies renouvelables et en stockage sont prometteuses également. 

Nous reconnaissons qu’il faudra une bonne dose d’audace et de courage de la part de la Caisse de dépôt et de placements du Québec pour prendre ce virage. La Caisse est plus qu’une entité économique : elle détient une large part de l’épargne des Québécois et Québécoises. À ce titre, elle nous représente et nous croyons qu’elle se doit d’être activement en train de construire un monde porteur de promesses pour les prochaines générations : beaucoup plus que maintenant. En commençant par se retirer de l’industrie du gaz. 


À propos du ROEÉ 

Le ROEÉ, fondé en 1997, participe activement aux consultations et audiences de la Régie de l’énergie, ou auprès d’autres forums pertinents, afin de défendre de manière efficace le point de vue des groupes et organismes à vocation environnementale dans le domaine énergétique. Les membres du ROEÉ font connaître au grand public les enjeux soulevés à la Régie en les commentant et en sensibilisant sur la question environnementale dans le domaine énergétique. Le ROEÉ est composé de huit groupes environnementaux, soit l’Association madelinienne pour la sécurité énergétique et environnementale (AMSÉE), Canot Kayak Québec, Écohabitation, la Fondation Coule pas chez nous, la Fondation Rivières, Nature Québec, le Regroupement pour la surveillance du nucléaire et le Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ). Ces groupes représentent des milliers de membres individuels et de multiples organisations au Québec.

Jean-Pierre Finet, analyste en énergie, Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ)

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