Le gouvernement de François Legault file tout droit vers l’échec en matière d’environnement et de lutte aux changements climatiques et ses cibles sont compromises, estime la commissaire au développement durable, Janique Lambert. La Commissaire presse Québec d’intensifier ses efforts… et sa rigueur.
Dans son tout premier rapport comme commissaire au développement durable, Janique Lambert brosse un portrait sombre des efforts du gouvernement Legault. Manque d’encadrement dans la gestion du nouveau Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC). Manque d’encadrement concernant l’épandage de sels de voirie. Multiples reports de la révision de la stratégie gouvernementale de développement durable. Et surtout, échec des objectifs de la Politique énergétique 2030.
La transition du Fonds vert vers le nouveau Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC) préoccupe particulièrement la commissaire. Selon son audit, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) a affecté 80% des dépenses prévues au fond, soit 5,4 G$, à différentes actions qui provenaient du Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques. Or, Québec n’a pas «préalablement évalué leur performance» avant d’engager des sommes. La commissaire note par ailleurs que des montants «considérables» continuent d’être versés sans que des analyses concernant plusieurs des actions concernées aient eu lieu.
Mme Lambert constate aussi que l’encadrement mis en place par le ministère «n’assure pas une gestion efficace et transparente» du FECC, ce qui a pour conséquence d’empêcher le suivi des performances des actions financées par le Fonds. «Près de 90% des actions en cours n’avaient pas d’indicateurs de cible ou en avaient des indicateurs inadéquats», avertit-elle à la suite d’observations réalisées en février 2022. Par ailleurs, elle estime que le MELCC «n’exerce pas une gouvernance intégrée efficace pour permettre la cohérence et la coordination des actions à l’échelle gouvernementale dans la lutte contre les changements climatiques».
Le rapport de la commissaire au développement durable fait écho à une analyse récente de HEC Montréal. Cette analyse concluait aussi au manque de rigueur en environnement et aux cibles probablement manquées du Plan d’action sur les changements climatiques du gouvernement Legault.
L’horizon 2030 compromis
La commissaire au développement durable vise aussi la Politique énergétique 2030. Celle-ci est entrée en vigueur en 2016 et vise une réduction des émissions de GES de 37,5% d’ici 2030 par rapport à 1990. Janique Lambert indique que le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) «n’a pas entrepris tout ce qui est nécessaire pour assurer l’atteinte des cibles». Elle évoque un «manque de rigueur» et juge que trois cibles de la politique sont de ce fait compromises. Il s’agit de la réduction de 40% de la quantité de produits pétroliers consommés, de l’élimination de l’utilisation du charbon thermique et de l’augmentation de la production totale d’énergies renouvelables.
Elle soutient aussi qu’elle n’est pas en mesure d’évaluer le risque concernant la cible d’augmentation de 50% de la production de bioénergie.
Et les mesures qui contiennent bel et bien des indicateurs adéquats – à peine 24% des 225 mesures prévues – ne performent pas nécessairement bien. Mme Lambert remarque que ceux-ci accusent un sérieux retard par rapport à ce qui était prévu au plan directeur.
Par ailleurs, Mme Lambert plaide que le MERN «ne fournit pas une information adéquate sur les enjeux de la transition énergétique» aux décideurs. «L’information […] est éparpillée dans plusieurs rapports et sites Internet. [Celle] disponible dans les rapports annuels de la gestion du MERN est limitée […] et ne permet pas d’apprécier les progrès», écrit-elle.
De plus, elle s’inquiète des reports à répétition de la révision de la Stratégie gouvernementale de développement durable. Elle craint que ceux-ci nuisent à la crédibilité de la démarche et à l’intégration des mesures au sein de l’appareil gouvernemental, notamment en raison d’une consultation publique en commission parlementaire qui «risque d’être expéditive».
Cet audit a été réalisé en date du 1er avril 2021, alors que le Plan pour une économie verte (PEV) avait été déposé quelques mois plus tôt et que le plan de mise en œuvre 2021-2026 entrait en vigueur le jour même.
Rosalie Tremblay-Cloutier, attachée de presse du ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette.
Beaucoup de travail a été fait depuis, dont l’analyse de la performance de plus de 68 % des dépenses prévues au PEV.
Nous avons jugé qu’il aurait été incohérent de mettre sur pause toute l’action climatique du Québec le temps d’analyser la performance de tous les programmes alors que l’urgence climatique avait été déclarée et que tous réclamaient un nouveau plan climatique de la part du gouvernement.
Nous avons donc d’abord analysé la pertinence de tous les programmes, puis la performance des programmes les plus importants, comme ÉcoCammionage et Roulez vert, y avons apporté les modifications nécessaires.
On savait qu’un défaut du Plan d’action sur les changements climatiques (PACC) était le manque de révision annuelle. Sachant que le Plan de mise en œuvre du PEV aurait une révision annuelle, nous considérions donc qu’il n’était pas nécessaire de tout réviser lors du lancement du PEV en avril 2021.
«Dévastateur», «sans mot», «un échec»
Au Parti québécois, le député de Jonquière et porte-parole en matière d’énergie, d’environnement et de lutte contre les changements climatiques, Sylvain Gaudreault, a qualifié le rapport de «dévastateur» en entrevue avec Métro. «C’est un rapport qui est dévastateur sur la gouvernance, parce qu’il nous dit que le ministre n’a pas les outils qu’il faut pour être capable d’atteindre les cibles et qu’il y a beaucoup d’improvisation», a-t-il mentionné. Selon lui, il n’est toutefois pas trop tard pour atteindre les cibles. «Ça va prendre des mesures fortes et du courage. Il faudra donner un coup de barre. C’est ça, le sous-message de la commissaire.»
Du côté des libéraux, le député de Robert-Baldwin, Carlos Leitão, se disait «sans mot». «Ça n’a pas d’allure. Il y a toutes sortes de problèmes en termes de gouvernance et de coordination!», s’est-il insurgé. Il craint qu’il soit déjà trop tard pour atteindre les objectifs de la Politique énergétique 2030. «Il aurait fallu des mesures au budget en mars dernier. Là, on s’en va en campagne électorale. Les nouvelles mesures arriveraient quelque part en novembre ou décembre. Ça commence à être tard!», mentionne-t-il.
Puis, chez Québec solidaire, la députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue qui occupe les fonctions de porte-parole en matière d’environnement et de lutte contre les changements climatiques, Émilise Lessard-Therrien, qualifie «d’échec» le mandat du gouvernement en matière d’environnement. «Nous le disons depuis des mois. Maintenant, ce n’est pas juste Québec solidaire qui le dit, c’est aussi la vérificatrice générale du Québec. [La lutte aux changements climatiques] n’est pas une priorité pour le gouvernement», a-t-elle déclaré.