Les absorbants ultraviolets (UV) et les antioxydants industriels sont des contaminants présents dans les produits que nous utilisons quotidiennement. Que deviennent-ils dans le fleuve Saint-Laurent à la hauteur de Montréal? Voici une analyse de trois chercheurs universitaires de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
ANALYSE – Les absorbants ultraviolets (UV) et les antioxydants industriels sont des contaminants qui suscitent de plus en plus d’intérêt puisqu’ils se retrouvent dans une panoplie de produits qui sont utilisés quotidiennement. Ces produits incluent les écrans solaires, les crèmes anti-âge et les shampoings, mais également des matériaux comme les plastiques et les textiles, domestiques ou industriels. On les utilise principalement pour protéger notre peau et les biens de consommation des rayonnements UV du soleil ou des agents oxydants naturellement présents dans l’air.
Étant donné leur grande versatilité, il existe plusieurs points d’entrée pour ces contaminants dans les milieux aquatiques. Les vecteurs couramment ciblés sont les effluents des usines de traitement des eaux usées municipales, puisqu’elles recueillent les eaux issues des usages domestiques courants ainsi que les eaux des industries.
Cet article fait partie de notre série Le Saint-Laurent en profondeur
Ne manquez pas les nouveaux articles sur ce fleuve mythique, d’une remarquable beauté. Nos experts se penchent sur sa faune, sa flore, son histoire et les enjeux auxquels il fait face. Cette série vous est proposée par La Conversation.
Pour améliorer l’état des connaissances au niveau de la situation du Québec, au cours de mon projet de maîtrise, je me suis intéressée au devenir de ces contaminants dans le fleuve Saint-Laurent à la hauteur de Montréal. Avec mes collègues, nous vous présentons ici les conclusions de cette étude.
De la douche et des poubelles… aux poissons du fleuve Saint-Laurent
Lorsque l’on prend sa souche, l’eau utilisée pour le rinçage contient des résidus de crèmes solaires, de shampoing ou d’autres produits de soin personnel utilisés et elle sera acheminée à une usine de traitement d’eaux usées. De façon similaire, la baignade dans les endroits plus touristiques peut engendrer une contamination directement dans les cours d’eau.
Une autre source est liée à la pollution par les plastiques, qui se retrouvent dans les milieux aquatiques notamment par un rejet direct dans l’environnement, par exemple lorsque des gens laissent des débris sur les plages. Il peut également y avoir un rejet indirect de plastiques, de par leur présence dans les effluents des stations de traitements des eaux usées domestiques. Lors de la dégradation des plastiques, qui se produit entre autres suite à une exposition au soleil, la salinité de l’eau ou au contact prolongé des vagues, les composés qu’ils contiennent (comme les absorbants UVs et les antioxydants industriels) peuvent migrer vers l’environnement.
Dès leur entrée dans l’environnement, ces contaminants peuvent se disperser dans les sédiments, l’eau, et même dans les organismes aquatiques, et ainsi nuire à la biodiversité et la santé des écosystèmes. En effet, certains de ces composés sont suspectés d’engendrer des effets néfastes, dont la perturbation du système hormonal chez les organismes aquatiques exposés ou encore de favoriser le blanchiment des coraux.
Cependant, il importe de mieux comprendre leur répartition et leur devenir dans les milieux aquatiques afin de pouvoir évaluer le risque présentement encouru par les espèces exposées à ces contaminants.
Des contaminants bien présents dans le fleuve
Afin de favoriser la compréhension du devenir des polluants d’intérêt dans l’écosystème du Saint-Laurent, plusieurs types d’échantillons ont été étudiés en provenance de l’amont et de l’aval du centre de traitement des eaux usées de Montréal. Nous avons récolté de l’eau, de la matière en suspension (qui sont les particules insolubles visibles dans l’eau), des sédiments et les tissus de deux espèces de poissons, soit le grand brochet et l’esturgeon jaune.
Les résultats des analyses ont décelé plusieurs contaminants, ce qui confirme leur présence dans l’écosystème du Saint-Laurent. De plus, une certaine affinité pour la matière en suspension été observée, avec des concentrations plus importantes pour certains contaminants, ce qui indique l’importance d’une meilleure compréhension des risques liés à l’ingestion de la matière en suspension. En effet, cette dernière peut être une voie importante d’accumulation pour les organismes.
En comparant les contaminants dominants dans les deux poissons étudiés, nous avons observé une distinction importante entre l’esturgeon jaune et le grand brochet. Cette différence peut être induite par différents facteurs, comme une différence au niveau du régime alimentaire des deux organismes. Le grand brochet est un carnivore opportuniste qui se nourrit de ce qui est facilement accessible. Sa diète principale se compose de perchaudes, de meuniers, de crapets et autres.
En comparaison, l’esturgeon jaune est un prédateur de fond qui se nourrit des petits organismes qui s’y trouvent comme des larves, des écrevisses et des petits mollusques. Cette distinction entre les modes de vie engendre une différence dans la manière dont les organismes seront exposés à la pollution et donc l’ampleur de la contamination par certains polluants. Par exemple, si un contaminant a une plus grande affinité pour les sédiments, les organismes qui vivent près du fond risquent d’être plus impactés par celui-ci.
Certains contaminants sont plus préoccupants que d’autres
Les résultats permettent également de mettre en lumière que le BHT, soit un antioxydant industriel, et son produit de dégradation, le BHTQ, sont les seuls composés qui ont été retrouvés dans le cerveau du grand brochet. Les effets de ces contaminants sur le système nerveux des organismes aquatiques ne sont pas bien connus pour le moment. Une étude antérieure a cependant démontré que le BHT peut s’accumuler dans le cerveau du rat et peut entraîner une augmentation du nombre de cellules mortes. À notre connaissance, il s’agit de la première observation de ces composés toxiques dans le Saint-Laurent.
L’UV328, que l’on retrouve principalement dans les plastiques et les peintures, est une molécule d’intérêt internationale suivie par la convention de Stockholm pour ses effets dommageables sur le foie et pour son potentiel de perturbation hormonale. Sa présence a été détectée principalement dans l’esturgeon jaune, l’eau, la matière en suspension et les sédiments du fleuve.
Encore des lacunes à combler
L’étude réalisée a permis de mettre en lumière la présence de contaminants d’intérêt dans le fleuve Saint-Laurent et d’en cibler certains comme l’UV328 et le BHT comme plus préoccupants. En revanche, il y a toujours un manque de connaissance à combler pour pouvoir comprendre l’impact de ces contaminants sur les différents organismes qui habitent le Saint-Laurent, notamment au niveau des effets des expositions à plus long terme.
De plus, il est important de rappeler que les organismes aquatiques sont soumis à un mélange de plusieurs polluants et qu’il est donc essentiel d’avoir une meilleure compréhension des conséquences des interactions entre ces contaminants sur la santé des organismes.
Zhe Lu, Professeur, Université du Québec à Rimouski (UQAR); Abigaëlle Dalpé-Castilloux, M Sc océanographie (laboratoire d’écotoxicologie marine, chimie analytique environnementale), Université du Québec à Rimouski (UQAR), et Magali Houde, Chercheuse scientifique, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.