Environnement

Prochaine station: guacamole ostentatoire

D’immenses publicités de l’organisation Les Avocats du Mexique sont actuellement placardées sur plusieurs étages de la station Berri-UQAM. Si ce fruit indéniablement nutritif permet de faire d’excellents guacamoles ou des club sandwichs végé, plusieurs enjeux écologiques et sociaux ont été soulevés au cours des dernières années à propos de sa production, particulièrement au Mexique. 

Il faut d’abord savoir que la STM n’est pas responsable du contenu publicitaire dans ses installations, elle n’a donc pas pris connaissance des enjeux liés à cette campagne publicitaire. 

C’est plutôt sa filiale commerciale Transgesco, ainsi qu’Astral Média, qui autorisent les grands panneaux qui nous sautent aux yeux à la sortie des wagons. Interrogé par Métro, Transgesco a préféré ne pas commenter ce partenariat, outre que pour préciser que la campagne publicitaire des Avocats du Mexique serait conforme au Code canadien des normes de la publicité.
 
Nous avons donc contacté les Avocats du Mexique. 

D’abord, qui sont-ils? 

Les Avocats du Mexique est une organisation privée sans but lucratif qui assure le développement du marché à l’international et le contrôle de la qualité des avocats.
 
Cette organisation s’est faite entre autres connaître en 2015 en invertissant 1 M $ pour une publicité diffusée durant le Super Bowl. Elle est également de plus en plus visible au Canada, puisque l’année dernière, elle est devenue partenaire officiel du tournoi de tennis l’Omnium Banque Nationale et a fait de la joueuse canadienne, Leylah Fernandez, leur nouvelle ambassadrice.  

Selon les chiffres des Avocats du Mexique: 

– L’organisation représente plus de 30 000 producteurs et 75 emballeurs au sein de 48 municipalités de l’état du Michoacán;
 
– En 2022, 2,3 M de tonnes d’avocats ont été produits au Mexique, ce qui représente près du tiers de la production mondiale (le Mexique a produit 1,6 M de tonnes en 2015);
  
– Le Canada est le deuxième plus grand importateur d’avocats mexicains, après les États-Unis, avec une estimation de 100 000 tonnes d’avocats annuellement. 

Enjeux écologiques 

Selon les études disponibles, 1 000 litres d’eau sont nécessaires pour obtenir un kilo d’avocats. En comparaison, il faut 180 litres d’eau pour faire pousser un kilo de tomates et 130 pour un kilo de salade. 

Si cette consommation d’eau est bien connue selon l’analyste en saine autonomie alimentaire d’Équiterre, Carole-Anne Lapierre, l’impact le plus important de l’avocat serait sa contribution à la destruction des forêts de pins dans la région mexicaine du Michoacán.  

«La demande [d’avocats] est montée tellement vite qu’on a procédé à des coupes, voire des feux pour dégager de grands espaces pour pouvoir faire de la monoculture», raconte-t-elle. 

Une production en monoculture attire les maladies et les ravageurs, des pesticides et des engrais chimiques sont donc utilisés, explique l’analyste, ce qui a un impact négatif sur les cours d’eau, sur la faune et la biodiversité. 

«Au Mexique, la majorité des plantations sont irriguées par la nature […] ce n’est pas un problème contrairement à d’autres pays», rétorque le directeur marketing des Avocats du Mexique sur le marché International, Miguel Barcenas, en entrevue avec Métro

Le sol volcanique permettant une filtration naturelle de l’eau, 70% des producteurs n’ont pas de systèmes d’irrigation et bénéficient de la saison des pluies et des lacs et rivières, précise l’organisation.  

Rappelant que le Mexique est la «terre d’origine» de l’avocat, Miguel Barcenas indique également que les Avocats du Mexique dispose d’un programme de reboisement, affirmant que plus de 2,6 M de pins et d’avocatiers ont été plantés depuis 2011. 

Malgré cela, pour le chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), Colin Pratte, ce type de culture n’est pas viable à moyen terme. «Selon divers scénarios d’augmentation de température et d’émission de gaz à effets de serre à l’échelle mondiale, le Mexique pourrait perdre 20 à 30% des zones propices à culture de l’avocat d’ici 2050».   

Photo: Jason Paré, Métro

Menaces et extorsions 

Cet «or vert» susciterait également la convoitise du crime organisé, explique Carole-Anne Lapierre. 

«On sait que le crime organisé fait du racket, c’est-à-dire mette de la pression sur les petits paysans ou les petits producteurs d’avocats pour avoir une partie des profits.» 

Le New York Post rapportait en février 2022 que l’importation d’avocats du Mexique a été temporairement interdite aux États-Unis, après qu’un inspecteur de l’USDA (Département de l’Agriculture des États-Unis) travaillant à Michoacán ait reçu une menace téléphonique d’un cartel de la drogue mexicain.  

«[Le crime organisé] est un problème de sécurité nationale qui n’affecte pas seulement la production d’avocats», explique le directeur général de l’Association of Avocado Exporting Producers and Packers (APEAM), Armando López Orduña, précisant du même souffle que s’ils travaillent conjointement avec l’état mexicain, la solution «dépend totalement du gouvernement». 

«Nous sommes plus des victimes que des créateurs [de ce problème]», renchérit Miguel Barcenas. 

Ce dernier ajoute que leur organisation a pris «des engagements forts» pour préserver la sécurité de leurs travailleurs et leurs partenaires et pour que «tout soit fait de la bonne façon».  

«On peut mettre l’emphase sur ce que fait le gouvernement ou sur la manière dont les gens organisent leur production là-bas, mais ce qui génère ce modèle de production, c’est la demande qui est croissante et qui est alimentée par la publicité [NDLR : de la STM, notamment]», réplique Carole-Anne Lapierre. 

L’important, c’est que la population fasse des choix en connaissance de cause, soutient-elle, «ce que la publicité ne permet pas dans le cas présent».  

Photo: Jason Paré, Métro

Éthique publicitaire 

Si la campagne des Avocats du Mexique a pour objectif de véhiculer que les avocats ne sont pas seulement bons en guacamole, une question demeure, est-ce que la STM devrait permettre ce genre de publicités dans ses installations lorsque des enjeux écologiques et sociaux sont soulevés, peu importe le produit? 

Pour Carol-Anne Lapierre, on devrait se poser davantage de questions sur l’impact de la publicité en général sur le choix des consommateurs

«Ce serait une réflexion qui serait intéressante à avoir et peut-être à souligner [à la STM]», suggère Carole-Anne Lapierre. 

Pour Colin Pratte, la publicité des Avocats du Mexique vend des pratiques culinaires vouées à disparaître dans un avenir pas si lointain.  

«De la part d’une société publique de transport en commun, on aurait pu s’attendre à mieux à ce qui a trait aux choix des publicités acceptées», soutient le chercheur, faisant un parallèle avec la promotion du Grand Prix dans le métro chaque été, un événement qui est en contradiction avec sa mission de transporter la population sans émettre trop de gaz à effet de serre. 

S’il souhaite que ce genre d’affichage disparaisse du métro ou soit plus transparent sur ses conséquences écologiques et sociales, le chercheur de l’IRIS suppose que le sous-financement de la société de transport par Québec fait en sorte qu’elle est moins scrupuleuse en matière de publicité. 

«Quand la STM se réduit à annoncer le plus récent téléphone ou la dernière mode de vêtements pour boucler son budget, comment ne pas y voir un signe de sous-financement chronique du transport en commun?» 

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