Des départs professionnels massifs sont présentement enregistrés au Québec, principalement du côté des millénariaux. Et ce n’est pas pour se pogner le beigne à la maison, mais plutôt pour tenter de trouver un sens à sa vie. Explication.
Début 2021, alors que l’économie reprenait tranquillement de la vigueur après une pause forcée, des millions d’Américains ont quitté leur travail. Le phénomène a alors été nommé la Grande Démission (The Great Resignation) et a depuis traversé la frontière.
Au Canada, le nombre de départs a augmenté de 20% en 2020-2021 par rapport à l’année 2019, selon le Guide salarial 2022 de Robert Half.
Et la tempête n’est pas près de s’essouffler. Selon les données du Centre canadien pour la mission de l’entreprise, 42% des Canadiens sont présentement en recherche d’emploi.
Les priorités changent
Marie-Hélène Chèvrefils, présidente et consultante principale chez Evō conseils, cabinet-conseil en ressources humaines, explique qu’il y a toujours eu un roulement de la main-d’œuvre. Or, avec la pandémie et l’incertitude en découlant, cette rotation «normale» de personnel a été retardée. «Maintenant que l’économie va mieux, les gens peuvent mettre leur plan à exécution et quitter leur emploi.» C’est en partie pourquoi les départs se font en aussi grand nombre.
La crise sanitaire a aussi été une période de remise en question. Isolés, les millénariaux ont eu plus de temps pour réfléchir au sens de leur vie. En quête de sens, même professionnellement, plusieurs se sont mis à regarder ailleurs puis à démissionner en bloc.
Les gens se tournent vers des trucs plus concrets, plus créatifs ou plus manuels, témoigne Caroline Jost, cofondatrice de la boîte de coaching en ressources humaines iNNERSHiP.
Certains sont retournés aux études, d’autres ont décidé de cumuler divers emplois à temps partiel pour cultiver leurs différentes passions.
Selon un sondage mené dans le cadre du projet «Travaillons ensemble» du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec, 80% des millénariaux entendent prioriser leur vie personnelle plutôt que leur carrière.
Les gens choisissent leur bien-être en premier lieu, ce qui n’était pas nécessairement le cas auparavant.
Le même sondage indique que 43% de la relève d’affaires considère le bien-être ainsi que la santé mentale et physique comme LA valeur d’entreprise la plus importante.
Pour 32%, c’est plutôt la flexibilité et l’autonomie. Les gens veulent notamment pouvoir continuer de travailler à la maison quelques jours par semaine, concilier la vie familiale et le travail, recommencer à voyager, cultiver d’autres intérêts, etc.
Et si l’entreprise n’accorde pas assez d’importance aux valeurs organisationnelles auxquelles ils adhèrent, 60% des répondants ont affirmé être prêts à démissionner.
Et plusieurs quittent leur emploi, justement.
Un contexte avantageux
Marie-Hélène Chèvrefils croit que le sentiment d’appartenance des employés à leur organisation s’est amoindri en raison notamment du télétravail. C’est désormais plus facile pour eux de quitter leur emploi.
Le contexte économique est également facilitant pour les employés.
«La pénurie de main-d’œuvre actuelle inverse le rapport de force. C’est maintenant les travailleurs plutôt que les employeurs qui ont le gros bout du bâton. Il y a un accès à l’information sur les emplois, les conditions de travail, la culture d’entreprise que les générations précédentes n’avaient pas» indique Mme Chèvrefils.
Cette pénurie de main-d’œuvre est causée par les départs massifs à la retraite, le faible taux de natalité au Québec et le ralentissement de l’immigration découlant du contexte pandémique.
Elle-même une millénariale, Caroline Jost observe qu’elle reçoit beaucoup plus d’offres d’emploi depuis un an.
Elle indique que, dans certains domaines, la COVID-19 a créé plus de possibilités de travailler notamment pour des compagnies américaines offrant un salaire en dollars américains ainsi que la possibilité de rester à la maison. Autant de main-d’œuvre locale qui n’est plus disponible pour les employeurs québécois.
Un couteau à double tranchant
Mais quelles seront les répercussions de ce phénomène? L’experte en ressources humaines, Marjorie Desriac, y voit du positif.
«La pression monte sur l’employeur qui doit investir dans ses responsabilités. Ça va accélérer l’avènement de cultures d’entreprises bienveillantes et de directions saines délaissant les rapports d’autorité au profit d’un sentiment de créer ensemble. C’est gagnant-gagnant.»
Marie-Hélène Chèvrefils est du même avis: «Il faut revenir à la base: la proximité. Il faut être à l’écoute de ses employés.»
Par contre, il n’y a pas que du beau qui en ressort.
«La pression pour améliorer les conditions de travail engendre des coûts qui peuvent décourager des entrepreneurs qui commençaient tout juste à se sortir la tête de l’eau. Pour les employés qui restent, c’est plus de pression sur leurs épaules, car la charge de travail, elle, ne diminue pas. Enfin, pour le client, cette perte d’employés peut avoir un impact sur la qualité du produit et sur le délai de livraison.»
Si les entreprises ne s’adaptent pas rapidement, le phénomène risque de prendre encore plus d’ampleur.