Gabriela, 13 ans, et Antoine, 16 ans, font leur entrée dans un local de l’école Robert-Gravel, accompagnés de leur éducatrice spécialisée, Caroline Rossi. Ce trio représente une partie du comité de toxicomanie chargée littéralement de changer l’air ambiant de l’environnement scolaire, qui s’épaissit d’année en année.
«L’école Robert-Gravel traîne une certaine réputation de consommation», informe d’emblée Antoine, adolescent posé qui admet avoir déjà vapoté et fumé la cigarette occasionnellement, surtout en contexte social. Et il est loin d’être le seul dans son groupe d’âge.
D’après le profil de consommation tracé par l’établissement scolaire et dont Métro a obtenu copie, 63% des élèves de 4e secondaire affirment avoir vapoté dans les 30 derniers jours, une statistique qui surpasse largement la moyenne québécoise de 31%. Globalement, 47% des 423 élèves de cette école du Plateau-Mont-Royal déclarent avoir déjà essayé le vapotage et 35% la cigarette.
«Ce qui est prévalent à l’école Robert-Gravel, c’est que les élèves commencent par la “vape” en 1re secondaire et fument la cigarette en 2e ou 3e secondaire», précise Caroline Rossi.
Une tendance qui inquiète particulièrement Antoine, dont les frères rentreront à l’école Robert-Gravel l’année prochaine. «Je ne veux pas que ce soit la première chose qu’ils voient.» Il se rappelle qu’à sa première année au secondaire, il observait déjà «beaucoup de monde» vapoter devant l’école. «Je croyais que c’était normal.»
Ce que confirme Gabriela, demeurée dès lors silencieuse, sirotant tranquillement sa tisane. Celle qui n’est jamais tombée dans ce vice raconte qu’il n’y pas si longtemps, au primaire, elle redoutait la pression – infondée – qui lui serait bientôt infligée par ses pairs. «Rendue au secondaire, j’imaginais que si j’allais dire non à une cigarette, on n’allait me pousser dans un casier comme dans les films.»
Une image qui la fait maintenant rigoler, n’étant plus aussi facilement impressionnable devant l’omniprésence de l’enjeu à son école, un enjeu qui suscite davantage la honte chez les jeunes. «Les élèves ne sont pas fiers de vapoter ou de fumer. Ils se cachent, assure-t-elle. Les plus vieux ne m’en proposent pas et ils me découragent de l’essayer.»
Caroline Rossi ajoute pour sa part que bon nombre d’élèves subissent déjà un semblant de conditionnement pavlovien au vapotage et à la cigarette. «Au son de cloche, entre deux périodes, on voit une trâlée de jeunes sortir et se disperser autour de l’école pour aller fumer.»
Incapables d’attendre la fin des classes, sous peine de subir les premiers effets d’un sevrage, d’autres préfèrent dissimuler leur cigarette électronique en classe pour en prendre secrètement quelques bouffées «pour calmer leur anxiété». Un mythe que le comité s’attelle d’ailleurs à défaire.
Agir pour renverser la vapeur
L’école secondaire Robert-Gravel est donc récemment devenue la première à Montréal à implanter une stratégie globale de prévention et de cessation du vapotage et du tabagisme. Des élèves, comme Antoine et Gabriela, ont décidé de s’impliquer pour tenter d’enrayer cette crise qui boucane la réputation de l’école.
«Quand un adolescent québécois sur trois de 4e et 5e secondaire vapote et est dépendant à la nicotine, pour le Conseil québécois sur le tabac et la santé, c’est une crise», estime sa directrice générale, Annie Papageorgiou.
Pour endiguer cette crise, le CQTS a mis sur pied un Plan Génération sans fumée (PGSF). Étalé sur trois ans, il vise à aider les écoles à prévenir l’initiation aux produits tabagiques, encourager la cessation dans le milieu et assurer l’application de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme.
Bien que le plan ait été instauré dans une centaine d’établissements scolaires québécois, l’école secondaire Robert-Gravel est le premier de la métropole à l’avoir mis en place.
Une approche bienveillante
Pour Gabriela, l’implication dans l’implantation du PGSF est motivée par son désir de venir en aide à ses amis et connaissances aux prises avec la dépendance qui mine leur liberté.
Antoine explique que s’il est parvenu à arrêter de vapoter, c’est grâce à sa volonté personnelle et le soutien de son entourage. «J’ai commencé à me tenir avec un groupe d’amis qui ne fumaient pas. Je leur ai ensuite demandé de m’enlever la vapoteuse des mains dans les partys.»
Avec cet exemple, l’élève illustre aussi les deux éléments qui fondent l’approche adoptée par l’établissement scolaire pour intervenir face à cet enjeu sans tomber immédiatement dans la moralisation et la sanction: la responsabilisation et l’accompagnement du jeune.
D’où la pertinence d’impliquer les élèves de l’école Robert-Gravel dans le PGSF. Cette année, le comité s’est concentré sur la prévention, notamment par l’entremise d’ateliers informatifs pour éduquer cette cohorte «déjà très politisée et revendicateurs».
«Le dernier atelier, on l’a appelé Harry Vaper et la Chambre des secrets. Pendant cette activité, on a distingué le vrai du faux par rapport aux idées préconçues liées au vapotage. On a aussi expliqué les dangers de cette habitude sur l’environnement et sur le corps.» Des impacts observés par Antoine chez quelques-uns de ses amis, autrefois sportifs, qui n’arrivent même plus à monter les escaliers sans être essoufflés.
Les incidences financières sont également bien réelles. Certains dépensent presque l’entièreté de leurs économies amassées durant l’été ou leurs allocations familiales pour le dîner dans l’achat de capsules de nicotine pour leur vapoteuse.
L’année prochaine, le comité compte lancer leur plan de soutien, basé sur une gradation des sanctions selon le nombre d’interventions, particulièrement à la communauté étudiante de troisième, quatrième et cinquième secondaire qui a une dépendance. La bienveillance est le précepte qui guidera l’élève dans ses démarches vers une réduction ou l’arrêt de l’ingestion de nicotine.
L’interdiction des arômes dans les produits de vapotage
Le gouvernement Legault a annoncé au mois d’avril que le Québec interdirait par voie de règlement la vente de produit du tabac comportant une saveur ou un arôme autre que ceux du tabac à la cigarette électronique. En vue de l’entrée en vigueur imminente de cette législation, la directrice générale de CQTS, Annie Papageorgiou, estime qu’il s’agit d’une mesure “excessivement efficace pour prévenir l’initiation pour les plus jeunes”.
Or, elle ne réglera pas complètement le problème pour la « nouvelle génération de vapoteurs, qui sont déjà dépendants à la nicotine ».
“Il ne faut pas les abandonner, insiste-t-elle. C’est pourquoi le PGSF a toute son importance. Il contribue à éviter l’initiation au vapotage, mais il est aussi nécessaire pour accompagner ceux qui vapotent déjà.”