Derrière les centaines de cas de coronavirus à Montréal-Nord, point chaud de la pandémie, se cachent des histoires de travailleurs essentiels qu’on a envoyés au front et qui sont tombés au combat. Portrait d’un résident du quartier qui a mis sa santé en péril pour gagner sa vie.
Michel*, dans la soixantaine, est atteint d’une maladie chronique pulmonaire.
Alors que le Québec se préparait à faire face à la pandémie, l’inquiétude s’est emparée de lui.
«J’ai eu peur, dit-il d’emblée. Toutes les années, je fais des infections pulmonaires et des pneumonies, explique-t-il. Ma capacité pulmonaire est très réduite. »
Pourtant, il a continué à se rendre au travail à la résidence Angelica, l’un des CHSLD les plus lourdement frappés par la pandémie de coronavirus au Québec.
Travaillant en entretien ménager, Michel nettoie chambres et toilettes; il n’est pas rare qu’il doive ramasser des excréments. La contamination n’était qu’une question de temps.
Au mois d’avril, la crainte de Michel s’est matérialisée, alors qu’il a contracté la COVID-19. Il fait maintenant partie des 81 employés de la résidence Angelica qui ont été déclarés positifs depuis le début de la pandémie.
Michel était bien conscient que la maladie pouvait lui être fatale. Pourquoi avoir pris ce risque?
«Je n’ai pas eu le choix. J’ai un loyer et des comptes à payer. Si j’avais 100 000$ dans mon compte de banque, penses-tu que j’irais travailler là? Je n’irais pas, c’est clair.» -Michel, employé de la résidence Angelica
La pression pour travailler, Michel la ressent encore. En convalescence, il a reçu deux appels de la résidence Angelica pour qu’il rentre au travail. Une erreur, selon l’établissement.
Une bévue que n’a pas appréciée le principal concerné. «Le message que ça m’envoie, c’est qu’il y a un problème de communication dans cette résidence-là», pense Michel.
Un retour inquiétant
Jusqu’à maintenant, le sexagénaire se s’estime chanceux. La maladie s’est montrée plutôt clémente. Mais devant l’absence de preuve qu’il aura développé une immunité une fois guéri, Michel a demandé à son médecin un arrêt de travail préventif pour éviter d’être infecté une seconde fois.
Cette demande lui a toutefois été refusée, affirme-t-il, parce qu’il n’a pas encore 65 ans. Sa convalescence bientôt terminée, il devra ainsi rentrer travailler dans un établissement où l’éclosion est loin d’être terminée. Selon les dernières données publiques, 134 résidents étaient infectés.
«Les gens qui ont des problématiques médicales, surtout de ce genre, c’est complètement ridicule qu’il n’y ait pas d’exception pour eux», s’insurge Michel.
*Nom d’emprunt
Travailleurs essentiels«Il y a beaucoup de travailleurs à Montréal-Nord qui font partie des travailleurs essentiels», avait indiqué Mylène Drouin, directrice de la Direction régionale de la santé publique de Montréal, lors d’un point de presse tenu le 28 avril. Cette réalité serait l’un des facteurs qui expliqueraient la forte hausse des cas de COVID-19 à Montréal-Nord. «Ils sont surtout dans le milieu de la santé. Il y a pas mal de préposés aux bénéficiaires. Il y a aussi des personnes qui travaillent dans des épiceries, dans des dépanneurs », énumère la directrice de l’organisme les Fourchettes de l’Espoir, Brunilda Reyes. Depuis que l’attention est sur Montréal-Nord, Mme Reyes remarque que les «perceptions» du quartier se sont multipliées. Sur les médias sociaux, notamment, où pullulent les commentaires accusant la population de pas suivre les consignes du gouvernement. Pour Mme Reyes, ces prétentions ne reflètent pas la réalité. «Je ne vois pas réellement qu’il y a une irresponsabilité citoyenne, affirme-t-elle. C’est sûr que ça pourrait s’améliorer, mais si les gens ne respectent pas à 100% les consignes, ce n’est pas parce qu’ils veulent faire exprès. Il faut se mettre dans le contexte qu’il y a beaucoup de monde qui doit se déplacer, qu’il y a des familles nombreuses.» |