Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles

Une médecin de famille accroche son sarrau après 54 ans de carrière

Dre Ginette Normandin-Noël

La Dre Ginette Normandin-Noël a accroché son sarrau le 30 mars dernier, après 54 ans de carrière, dont une trentaine à la Polyclinique de Pointe-aux-Trembles. À 79 ans, celle qui soignait plus de 500 patients au moment de sa retraite a le sentiment d’avoir donné sa vie à une irrésistible vocation.

«J’avais autour de 2000 patients il y a sept ou huit ans», estime la Dre Normandin-Noël. En contexte actuel de pénurie de médecins de famille, ce chiffre étonne.

Femme médecin, une denrée rare à l’époque

Ginette Normandin-Noël a grandi à une époque où les femmes ne devenaient pas médecins. «Les filles mariaient des docteurs, lâche-t-elle de son ton pince-sans-rire. On assumait qu’elles ne travailleraient pas, qu’elles ne rendraient rien à la société.»

Dans le contexte, il n’est donc pas difficile de croire qu’au début de sa carrière, certains hommes avaient «le loisir» de refuser ses soins. «Les patients voyaient une femme arriver et ils pensaient automatiquement que tu étais une garde-malade. Il y a beaucoup d’hommes qui ont refusé que je les examine», raconte-t-elle à Métro.

Des balivernes auxquelles elle n’a pas porté grand attention, si on se fit à son parcours professionnel presque attendu pour une personne de sa trempe. Cette femme de carrière est en effet constituée d’intelligence et d’un soupçon d’effronterie.

«Vous avez du front tout le tour de la tête, mademoiselle Normandin», se faisait-elle souvent dire par l’une de ses institutrices lorsqu’elle était enfant.

Outre son front de bœuf, elle avait aussi deux pieds gauches qui l’ont vite incitée à délaisser les sports pour devenir une élève studieuse, dont les temps libres étaient consacrés à la musique. Elle raconte au passage qu’elle allait s’exercer au piano chez son petit voisin, Gilles Latulippe. Un passe-temps qui rassurait ses parents endeuillés, qui craignaient constamment que leur fille ne se blesse.

À l’âge de 5 ans, Ginette Normandin-Noël raconte avoir perdu sa sœur cadette d’une leucémie foudroyante. «La mort de ma sœur a peut-être contribué à ce que je devienne médecin», suppose-t-elle de manière laconique.

L’autre fil conducteur est bien évidemment son grand intérêt pour les sciences, qui l’a menée sur les bancs de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal à 19 ans. «On était une cohorte de 120 élèves, qui comptait seulement 12 filles», mentionne-t-elle.

Les récompenses obtenues pour ses apports à la recherche en pathologie ont fait un pied de nez au manque d’estime à peine voilé de l’époque pour les femmes dans le monde scientifique. «L’Université de Montréal m’a donné une bourse d’études pour mes contributions à une recherche concernant les risques associés aux gants chirurgicaux poudrés au talc. Ça m’a permis de payer mes frais de scolarité pour une année entière», lance-t-elle, le regard amusé.

La Dre Ginette Normandin-Noël obtient ainsi son diplôme en 1969, en compagnie de sept autres femmes.

La médecine à une autre époque

Une longue feuille de route comme celle de la Dre Normandin-Noël amène certainement son lot d’anecdotes. Et le franc-parler de la médecin donne à ses histoires une résonnance toute particulière.

Sa carrière a d’abord débuté dans les Hautes-Laurentides, aux côtés de son beau-frère, lui aussi médecin. «Un soir, j’ai dû me rendre à L’Annonciation pour une visite au domicile d’un bûcheron. Les seules indications qu’on m’a données, c’était de me rendre au 3e rang et de cogner à la porte de la maison dont les lumières seraient allumées. J’ai fini par trouver.»

Le reste de l’histoire est un peu trop graphique pour que la Dre Normandin-Noël rentre dans les détails, mais elle impliquait une grosse bûche et un membre écrasé. « J’ai dit à mon beau-frère: “plus jamais!”», se remémore-t-elle en secouant la tête.

Après deux mois à faire de la médecine de brousse, la Dre Normandin-Noël est retournée exercer sa profession dans son coin de pays, dans l’est de Montréal. «Je suis née dans le quartier Centre-Sud, puis ai grandi à Montréal-Nord. Je ne me serais pas vu travailler à ailleurs que dans l’est.»

Elle ne se serait pas vu non plus soigner des enfants. «J’ai fait des stages en pédiatrie pendant mes études et j’haïssais ça pour mourir! Je trouvais que les bébés braillaient tout le temps. Ils ne parlaient pas non plus, donc, je ne savais pas ce qu’ils avaient. Je ne savais même pas ce que ça mangeait un bébé! Je n’avais pas d’enfants à l’époque…»

Elle ne pouvait donc prédire qu’elle passerait les vingt prochaines années à soigner les nourrissons et les jeunes de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, d’abord à titre de médecin employée par la Ville de Montréal, qui se promenait d’école en école pour prodiguer des soins aux enfants qui tardaient encore à être couverts par l’assurance-maladie. Et ensuite au CLSC de Hochelaga-Maisonneuve, une période qui a entraîné un certain découragement chez elle.

«C’était la grande pauvreté, la misère sociale. Je suis déjà allée chercher des enfants dans des piqueries. J’ai trop vu de cas de maltraitance. J’ai eu le temps de voir deux générations se succéder et je ne voyais que les mêmes histoires se répéter. À un moment donné, je n’étais plus capable», avoue-t-elle.

Témoin de la dégradation perpétuelle des conditions de vie dans le quartier, elle a décidé, à l’âge de 50 ans, de changer d’air et de suivre un des ses collègues à la Polyclinique de Pointe-aux-Trembles.

«La première fois que j’ai mis les pieds à Pointe-aux-Trembles, je me souviens que c’était un mois d’avril. Il y avait de la brume, de la boucane qui provenait des raffineries. Je ne voyais même pas les adresses. Quand je suis arrivée à la Polyclinique, je me suis dit que je ne reviendrais plus jamais là, c’était bien trop loin…»

Mais si une chose est sûre dans le cas de la Dre Normandin-Noël, c’est qu’il ne faut jamais dire jamais, elle qui a poursuivi sa carrière à cette même Polyclinique pendant près de 30 ans.

L’écoute avant la science

Que ce soit par le tricot, la broderie, la lecture, les cours d’informatique ou le bénévolat, la Dre Normandin-Noël devra trouver le moyen de s’occuper l’esprit durant sa retraite. «Je vais bien trop m’ennuyer de travailler! La médecine, c’est ma passion.»

Elle mentionne à la volée qu’aucun de ses deux enfants n’est devenu médecin, chose qui lui plaît dans la mesure où, selon elle, le système de santé n’est plus ce qu’il était. Il aurait pris l’allure d’une manufacture au fil des années, soutient-elle. «Il faut arriver avec un problème et non deux. Il faut tout, tout de suite. Les patients sont plus informés et arrivent parfois avec leurs propres diagnostics. Ils sont un peu plus exigeants.»

La bureaucratisation et l’informatisation de la pratique ont aussi eu l’effet de déshumaniser la relation médecin-patient, selon elle. «La médecine, ce n’est plus une vocation, c’est une job. Les médecins actuels sont assis devant leur ordinateur, ont leur cellulaire pas loin. Ils ne sont plus très communicatifs avec le patient.

La science est bonne, mais c’est l’écoute d’abord. Si tu n’écoutes pas, tu as des chances de passer à côté de quelque chose d’important.

Dre Ginette Normandin-Noël

Assise à son bureau de la Polyclinique de Pointe-aux-Trembles qu’elle occupe depuis 30 ans, la Dre Normandin-Noël prononce ces mots alors que, derrière elle, sont affichées les photos de quelques bambins, enfants et jeunes adultes qu’elle a soignés au fil du temps. Ces derniers semblent confirmer les dires de la docteure par leur sourire.

«J’ai donné», conclut-elle en leur jetant un dernier coup d’œil.

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