Le projet de loi 70 sur l’aide sociale du gouvernement Couillard pourrait être une «catastrophe» pour de nombreux jeunes, affirment d’anciens prestataires, aujourd’hui réintégrés sur le marché du travail.
«Si on m’avait forcée, au moment où j’avais le plus besoin d’aide, à aller travailler dans un emploi qui ne m’intéressait pas, je crois que j’aurais pu me suicider», affirme Camille.
Camille et David, dont les noms ont été changés pour préserver leur anonymat, ont vécu des parcours difficiles. Dépression, consommation de drogues, itinérances, il s’agit du malheureux scénario qui a tissé la trame de vie de ces deux jeunes. À l’instar de nombreux Québécois qui ont surmonté de telles embûches, ceux-ci ont été prestataires de l’aide sociale.
Or, le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais, a mis sur la table un projet de loi qui pourrait, entre autres, réduire de plus de 200$ par mois les montants versés aux 17 000 nouveaux prestataires chaque année s’ils ne se présentent pas aux rencontres prévues avec Emploi Québec et s’ils ne remplissent pas certaines conditions d’employabilité. Plus du deux tiers de ces nouveaux prestataires auraient moins de 35 ans, selon le Ministère.
Incompréhension et préconçus
La notion de ces nouvelles conditions pique à vif Camille.
«Le gens pensent que les jeunes qui font appel à l’aide sociale s’en vont faire le « party », qu’ils vont mettre cet argent-là dans la boisson et les drogues. Mais en réalité, quand tu es sur l’aide sociale, tu es en mode « survie ». Le 8000 $ que j’ai reçu pendant une année, il a été utilisé à payer mon loyer. Je devais quand même faire appel aux banques alimentaires, je ne m’achetais même pas une passe d’autobus, je n’avais pas d’argent de poche», souligne-t-elle.
Pourtant, celle-ci ne referait pas les choses autrement si elle le pouvait. Après avoir subi une grave dépression, elle s’est sentie incapable de retourner sur le marché du travail.
«J’avais besoin de ce temps pour comprendre ce qui m’arrivait, ce que je vivais. Emploi Québec offrait des rencontres pour me trouver du travail, mais à ce moment-là ce n’est pas ce que je recherchais vraiment. J’avais besoin d’aide psychologique et émotionnelle», explique la jeune femme.
Lorsqu’il était à son pire, David ne se voyait pas non plus trouver un emploi.
«Ça aurait été impossible à ce moment-là. Quand j’étais sur l’aide sociale, je sortais d’une relation difficile, je me remettais d’une dépendance à la cocaïne, j’étais dans la rue. J’ai pris ce temps pour aller en hébergement, retourner à l’école chez « Pops », retrouver une certaine confiance en moi», souligne le jeune homme qui aujourd’hui est de retour Cégep en travail social.
«Le problème vient du fait que l’on regarde le symptôme: l’absence d’emploi, sans s’affairer au profil personnel des individus. On dit à ces jeunes « vous avez un contrat social à remplir, vous devez vous trouver de l’emploi », mais on ne va pas au-delà. Il y a un certain irréalisme là. Il faudrait aussi se demander si les employeurs seraient heureux d’embaucher des gens qui n’ont pas eu le temps de gérer leurs problèmes psychologiques, ou de toxicomanie, parce qu’ils sont obligés d’aller travailler», affirme Benoît Bernier, directeur clinique et fondateur de Déclic.
L’organisme à but non lucratif situé dans Rosemont – La Petite-Patrie vient en aide à des jeunes âgés entre 19 et 25 en difficulté et en détresse psychosociale, qui pourraient retourner aux études et sur le marché du travail.
Des services thérapeutiques et éducatifs faits sur mesure ciblent leurs besoins, afin de les aider à s’en sortir.
Le cabinet du ministre François Blais n’a pas retourné nos appels au moment de l’écriture de ces lignes.