Juan Guaido, le président du Parlement vénézuélien contrôlé par l’opposition, s’est autoproclamé mercredi «président» par intérim devant des dizaines de milliers de partisans réunis à Caracas pour protester contre le président Nicolas Maduro.
«Je jure d’assumer formellement les compétences de l’exécutif national comme président en exercice du Venezuela pour parvenir […] à un gouvernement de transition et obtenir des élections libres», a lancé Juan Guaido depuis une tribune.
Le président américain Donald Trump a immédiatement annoncé qu’il reconnaissait le jeune opposant de 35 ans comme président par intérim du pays. «Aujourd’hui, je reconnais officiellement le président de l’Assemblée nationale vénézuélienne, Juan Guaido, comme président par intérim du Venezuela», a-t-il indiqué dans un communiqué.
Le Canada a lui aussi reconnu Guaido comme «président en exercice», de même que le Pérou, le Brésil et la Colombie. Plus tôt ce mois-ci, le Canada avait rejeté la légitimité du nouveau mandat présidentiel de Nicolas Maduro, l’appelant à céder immédiatement le pouvoir à l’Assemblée nationale démocratiquement élue jusqu’à la tenue de nouvelles élections. Le Canada a déclaré que les souffrances des Vénézuéliens ne feraient qu’empirer si Nicolas Maduro continuait de s’accrocher au pouvoir.
Le secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA), Luis Almagro, a également félicité M. Guaido. «Il a toute notre reconnaissance pour impulser le retour de la démocratie dans ce pays», a-t-il tweeté.
Juan Guaido, député de 35 ans, est devenu en quelques jours le visage de l’opposition vénézuélienne et a réussi à remobiliser les adversaires du président, divisés et affaiblis ces derniers temps.
De son côté, Nicolas Maduro a annoncé que son pays rompait ses relations diplomatiques avec les États-Unis, après la reconnaissance par Donald Trump du chef de l’opposition Juan Guaido comme président par interim. «J’ai décidé de rompre les relations diplomatiques et politiques avec le gouvernement impérialiste des États-Unis. Dehors ! Qu’ils s’en aillent du Venezuela, ici il y a de la dignité, voyons !», a déclaré Nicolas Maduro, qui a donné 72 heures aux représentants diplomatiques nord-américains pour quitter le pays.
Devant des milliers de partisans, depuis un balcon du palais présidentiel de Miraflores à Caracas, le chef de l’État socialiste a une nouvelle fois accusé Washington de «tentative de coup d’État». «La politique extrémiste du gouvernement de Donald Trump contre le Venezuela est une irresponsabilité gravissime, une stupidité gravissime […], tenter d’imposer un gouvernement par des voies anticonstitutionnelles, nous ne pouvons l’accepter», a poursuivi le dirigeant vénézuélien.
Nicolas Maduro n’a pas l’autorité pour rompre les relations diplomatiques du Venezuela avec les Etats-Unis, a rétorqué peu après le département d’État américain, après que le dirigeant socialiste eut donné 72 heures aux représentants diplomatiques américains pour quitter son pays. «Les États-Unis ne reconnaissent pas le régime de Maduro […] Par conséquent, les États-Unis ne considèrent pas que l’ancien président Nicolas Maduro ait l’autorité légale pour rompre les relations diplomatiques avec les États-Unis ou pour déclarer nos diplomates persona non grata», a indiqué le département d’État dans un communiqué.
Une enquête
Au même moment, la Cour suprême vénézuélienne, plus haute juridiction du pays, composée de fidèles au régime, a ordonné une enquête pénale contre les membres du Parlement, en les accusant d’usurper les prérogatives du président Maduro.
Opposants et partisans du président Nicolas Maduro sont descendus en masse dans les rues mercredi dans tout le pays, dans un climat de haute tension. Cinq personnes sont mortes dans des troubles précédant les manifestations.
Les opposants, dont nombreux s’étaient vêtus de blanc, se sont réunis dans plusieurs quartiers de la capitale et d’autres régions du pays pour exiger un «gouvernement de transition» et de nouvelles élections.
De leur côté, les partisans du gouvernement, habillés de rouge pour la plupart, se sont retrouvés dans d’autres points de la capitale pour apporter leur soutien au chef de l’État et rejeter les revendications de l’opposition, qu’ils considèrent comme une tentative de coup d’État orchestrée par Washington.
Ces manifestations ont été précédées de violences qui ont fait cinq morts, dont un mineur de 16 ans tué par balle dans l’ouest de Caracas. Quatre autres personnes ont été tuées lors de pillages dans l’État de Bolivar (sud) où une statue de l’ex-président Hugo Chavez (1999-2013) a été brûlée.
En cette date historique, qui commémore les 61 ans la chute de la dictature de Marcos Perez Jimenez, le 23 janvier 1958, les opposants et partisans du président socialiste souhaitaient compter leurs forces.
«Nous nous rassemblons pour que Guaido soit proclamé président. Nous ne voulons plus de Maduro qui est un usurpateur. Nous sommes là pour que soit rétablie la démocratie», a déclaré à l’AFP Argenis Ramos, un professeur de 32 ans, dans l’est de Caracas, avant le début de la mobilisation.
Le président vénézuélien a été investi le 10 janvier pour un deuxième mandat, contesté par l’opposition et non reconnu par les États-Unis, l’Union européenne et de nombreux pays d’Amérique latine.
Yelitze Pariata, 47 ans, qui vit dans une maison que lui a attribuée le gouvernement dans le centre de Caracas, est, elle, venue «manifester pacifiquement pour soutenir le président et montrer au monde que le chavisme est uni».
Les commerces, écoles et institutions sont restés fermés mercredi, tandis que de rares véhicules étaient visibles dans les rues. Les violentes manifestations de 2017 qui ont fait 125 morts sont encore dans toutes les mémoires.
Climat de tensions
Ces mobilisations sont organisées dans un climat explosif, deux jours après le bref soulèvement d’un groupe de 27 militaires qui se sont retranchés quelques heures dans une caserne du nord de Caracas, en lançant des appels à l’insurrection. Ils ont été rapidement arrêtés.
Mardi, le vice-président américain Mike Pence a affiché sa solidarité avec la manifestation de l’opposition. Un appel à «un coup d’État fasciste», a dénoncé Nicolas Maduro.
Dans la foulée du soulèvement des militaires, une trentaine d’émeutes ont été enregistrées dans des quartiers populaires de la capitale et de sa banlieue. Dans la nuit, des chars anti-émeutes ont patrouillé dans la capitale.
Cette insurrection s’est produite alors que l’opposition ne cesse d’appeler l’armée, considérée comme le principal soutien de Maduro, à rompre avec le régime.
Le Parlement a notamment promis une «amnistie» aux membres de l’armée qui refuseraient de reconnaître le nouveau mandat du chef de l’État.
Mardi, les députés ont approuvé cette proposition, défiant la décision de la Cour suprême, affiliée au régime, qui a déclaré nulles toutes leurs décisions.
«Ils ne peuvent pas déclarer inconstitutionnel le désir de changement d’un peuple», a affirmé Juan Guaido, selon lequel le soulèvement de lundi traduit le mécontentement croissant au sein de l’armée.
Le nouveau mandat de M. Maduro est contesté par l’opposition, qui dénonce des pressions sur les électeurs lors du scrutin du 20 mai et pointe la forte abstention.
L’Union européenne espère lancer en février un groupe international de contact pour tenter de trouver une sortie, selon la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini.
Il «réunira les acteurs régionaux et internationaux pouvant contribuer à restaurer les conditions d’une solution politique à la crise», a précisé mercredi le ministère français des Affaires étrangères. «L’impasse politique actuelle démontre la nécessité de trouver à terme un accord qui permette aux Vénézuéliens de choisir librement leurs représentants».
L’OEA, dont un grand nombre de membres jugent illégitime le deuxième mandat de M. Maduro, doit elle se réunir jeudi en session extraordinaire pour examiner «les récents événements au Venezuela».
L’UE appelle à écouter la voix du peuple
L’Union européenne a appelé mercredi à écouter la «voix» du peuple du Venezuela et a réclamé des élections «libres et crédibles». «Le 23 janvier, le peuple vénézuélien a massivement réclamé la démocratie et la possibilité de déterminer librement son propre destin. Sa voix ne peut être ignorée», a dit la Haute représentante de l’UE, Federica Mogherini, au nom des 28.
«L’UE appelle à l’ouverture immédiate d’un processus politique débouchant sur des élections libres et crédibles, conformément à l’ordre constitutionnel», a ajouté la chef de la diplomatie européenne dans un communiqué. «Les droits civils, la liberté et la sécurité de tous les membres de l’Assemblée nationale, y compris de son président, Juan Guaidó, doivent être […] pleinement respectés», a-t-elle prévenu.
Pour l’UE, «la violence et le recours excessif à la force par les forces de sécurité sont totalement inacceptables et ne résoudront certainement pas la crise». «Le peuple vénézuélien a le droit de manifester pacifiquement, de choisir librement ses dirigeants et de décider de son avenir», a poursuivi Mme Mogherini.
L’UE et ses États membres disent «rester prêts à soutenir le rétablissement de la démocratie et de l’État de droit au Venezuela par un processus politique pacifique crédible, conformément à la constitution vénézuélienne». L’Union européenne espère lancer en février un groupe international de contact pour tenter de trouver une sortie, selon la chef de la diplomatie européenne.