Aux cris de «Mort à l’Amérique», une marée humaine en deuil a rendu lundi un vibrant hommage au général Qassem Soleimani, commandant le plus populaire d’Iran, appelant à le venger après son assassinat avec ses compagnons d’armes dans une attaque au drone américaine.
Sur un autre front des tensions exacerbées avec Washington, l’Iran a annoncé une nouvelle réduction de ses engagements contenus dans l’accord international conclu en 2015 pour garantir la nature purement civile des activités nucléaires iraniennes, un pacte désormais presque vidé de sa substance.
«L’Iran n’aura jamais d’arme nucléaire!», a réaffirmé lundi sur Twitter le président américain Donald Trump, qui s’est retiré unilatéralement en 2018 de l’accord. Encore parties au pacte, les Européens ont dit «regretter profondément» l’annonce iranienne sur la levée de toute limite sur l’enrichissement d’uranium.
Face à la crise entre Téhéran et Washington, des ennemis jurés, et le risque d’une déflagration, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a appelé lundi l’Iran à éviter «davantage de violence et de provocations», à l’issue d’une réunion extraordinaire à Bruxelles, où l’UE devait également tenir une réunion sur la crise.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a appelé à suivre «la voie de la pondération».
Comme à Ahvaz (sud-ouest) et Machhad (nord-est) la veille, les Iraniens se sont déplacés en masse à Téhéran, noire de monde, pour honorer Qassem Soleimani, figure charismatique et très populaire en Iran, tué vendredi avec son lieutenant irakien et huit autres personnes près de l’aéroport de Bagdad.
Retenant difficilement ses larmes, le guide suprême Ali Khamenei a présidé une courte prière des morts à l’Université de Téhéran, devant les cercueils contenant les restes de Soleimani, d’Abou Mehdi al-Mouhandis, numéro deux du Hachd al-Chaabi (paramilitaires irakiens pro-Iran) et de quatre Iraniens.
«La dernière fois que je me souviens d’une telle foule, c’était aux funérailles il y a 30 ans de l’imam Khomeiny», fondateur de la République islamique d’Iran, a déclaré à l’AFP Maziar Khosravi, l’ex-chef du service politique du quotidien réformateur Charq.
Estimée à «plusieurs millions» par la télévision d’État, la foule alterne entre moments de recueillement et de tristesse, et des explosions de colère aux cris de «Mort à l’Amérique», «Mort à Israël».
Riposte «dévastatrice» pour l’Iran
Des drapeaux américains et israéliens ont été brûlés, tandis que la foule appelait à venger celui qui était le chef de la Force Qods, chargée des opérations extérieures des Gardiens de la Révolution et architecte de la stratégie de l’Iran au Moyen-Orient.
«Stupide Trump (…) ne pense pas qu’avec le martyr de mon père, tout est fini», a lancé Zeinab, la fille de Qassem Soleimani.
«Notre riposte doit être dévastatrice», a renchéri un Iranien de 61 ans, dans la foule.
Le cercueil de Soleimani a ensuite été transféré vers la ville sainte chiite de Qom pour une cérémonie, et sera mis en terre mardi à Kerman (sud-est), sa ville natale.
L’Iran officiel a promis une «riposte militaire», une «dure vengeance» qui frappera «au bon endroit et au bon moment».
Donald Trump ne fait rien pour apaiser les inquiétudes internationales. Si l’Iran fait «quoi que ce soit, il y aura des représailles majeures», y compris contre des «sites culturels» iraniens, a-t-il encore menacé dimanche.
Lundi, l’Unesco a rappelé que Washington a ratifié deux conventions protégeant les biens culturels en cas de conflit.
M. Trump a aussi évoqué la possibilité d’imposer des sanctions «très fortes» à son allié irakien après le vote dimanche par le Parlement d’une résolution demandant le départ des quelque 5200 militaires américains d’Irak.
L’assassinat de Soleimani est survenu après une attaque inédite de l’ambassade américaine à Bagdad par des pro-Hachd pour protester contre un raid américain visant ces paramilitaires. Cette frappe ripostait à des tirs de roquettes sur des installations en Irak abritant des Américains, dont un a péri fin décembre.
A Bagdad, des officiels irakiens et responsables du Hachd défilaient lundi dans une mosquée en hommage à Soleimani et Mouhandis. Une petite foule piétinait à l’entrée un portrait de M. Trump.
«Priorité» au nucléaire
Dans ce contexte explosif, l’Iran a annoncé dimanche la «cinquième et dernière phase» de son plan de réduction de ses engagements pris dans l’accord international sur le nucléaire iranien, affirmant qu’il ne se sentait plus tenu par aucune limite «sur le nombre de ses centrifugeuses».
Mais Téhéran continue de se soumettre volontairement au programme d’inspection particulièrement draconien de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), mis en place après l’accord conclu avec Pékin, Washington, Paris, Londres, Moscou et Berlin.
A Vienne, l’AIEA a dit être «au courant de l’annonce» iranienne et souligné que ses «inspecteurs continuent de mener des activités de surveillance» en Iran.
Depuis mai, l’Iran s’est progressivement affranchi d’engagements nucléaires en représailles au retrait des États-Unis qui ont rétabli des sanctions contre Téhéran.
Paris, Londres et Berlin ont appelé «l’Iran à retirer toutes (ses) mesures non conformes» au pacte. Moscou a pressé tous les pays engagés dans l’accord d’en faire une «priorité» et de s’assurer de leur mise en application.
Par cet accord, l’Iran a accepté de réduire drastiquement ses activités nucléaires, de façon à prouver qu’elles n’ont aucune visée militaire, en échange de la levée d’une partie des sanctions internationales qui ont asphyxié son économie. Mais le retour des sanctions a plongé le pays pétrolier dans une violente récession.
Pour les observateurs, l’Iran reste «très prudent» en évitant de dénoncer frontalement le texte, ce qui laisse une ultime marge de manoeuvre pour tenter de le sauver.
Entre-temps, les cours du pétrole poursuivent leur ascension, et les Bourses mondiales tremblent. L’or, traditionnelle valeur refuge, est monté à des niveaux jamais vus depuis 2013.