Un candidat à la mairie de Montréal a récemment relancé la discussion sur la reconnaissance de Montréal comme territoire autochtone non cédé dans la foulée de la découverte de tombes d’enfants autochtones près des pensionnats de Mariéval et de Kamloops, dans l’Ouest canadien. Balarama Holnness a appelé Valérie Plante et Denis Coderre à passer à l’action.
Dans un tweet datant du 24 juin, le fondateur du parti Mouvement Montréal affirme que s’il est élu à la mairie, il amendera la Charte de la Ville de Montréal pour reconnaître Tiohtià:ke/ Montréal comme «territoire autochtone non cédé».
Métro a voulu se pencher sur cet enjeu. Cette reconnaissance officielle est-elle possible? Ou s’agit-il d’une proposition électorale sans conséquences? Et que signifierait-elle exactement?
Un débat et un consensus
Il existe au sujet de la présence ou non de peuples autochtones lors de la fondation de Montréal en 1642 un débat entre la conception historique classique (allochtone) et l’histoire autochtone (notamment Mohawk) transmise oralement qui divergent, comme l’a souligné Métro dans un article en 2017.
À l’origine, la reconnaissance de la présence d’une population dans un territoire s’inscrit dans une tradition diplomatique autochtone qui remonte à plusieurs générations. Pour Médérik Sioui, historien autochtone, la reconnaissance du territoire est une «coutume universelle des Premières Nations qui consiste à reconnaître où on se trouve et d’où on vient.»
«Dire qu’il n’y a pas de traces, c’est un peu gros. Ces conceptions du monde sont propres à certains historiens qui n’acceptent pas l’idée d’une tradition orale.»
Médérik Sioui, historien autochtone.
Outre le désaccord entre historiens, un consensus demeure : si, historiquement, Montréal a toujours été un lieu d’échanges et de rencontres entre différents peuples autochtones, l’île de Montréal n’a jamais été «cédée».
Médérik Sioui apporte cependant un bémol à l’utilisation des termes «non cédé», qui impliquerait que d’autres territoires aient été, eux, cédés.
Un geste de réconciliation
En 2015, la Commission de vérité et réconciliation avait conclu que les déclarations de reconnaissance de territoires non cédés participeraient à «promouvoir un climat de respect et de réconciliation avec les peuples autochtones.»
Depuis, nombreux évènements politiques, conférences et rassemblements militants débutent par une déclaration de reconnaissance du territoire. À Montréal, depuis décembre 2017, chaque conseil municipal commence par une déclaration de reconnaissance du territoire non cédé de Tiohtià:ke/ Montréal.
«Reconnaître que l’ensemble du territoire est le territoire de plusieurs Premières Nations, c’est un geste important qui rend visible. Cela permet d’affirmer la présence des premières nations sur le territoire.»
Médérik Sioui, historien autochtone.
Il revient à Québec de l’écrire
Concrètement, le processus d’amendement de la Charte de la Ville repose sur une décision de l’Assemblée nationale du Québec. Ainsi, «tout ce que les élus en provenance de Montréal peuvent faire [au sujet de la reconnaissance], c’est en faire la proposition à Québec», explique Danielle Pilette, politologue à l’UQAM.
Pour la politologue, il serait aussi intéressant que cette déclaration provienne de la Communauté métropolitaine de Montréal (qui inclut Oka, par exemple), plutôt qu’une déclaration qui se limite à la seule ville de Montréal. «Ce serait intéressant de voir cela dans le cadre du vivre ensemble.»
Mme Pilette y verrait «un signal envoyé aux élus pour relancer une discussion sur la reconnaissance du territoire».
Pour Médérik Sioui, si une telle proposition de reconnaissance est portée auprès de Québec, il serait mal vu que l’Assemblée nationale refuse, alors que le gouvernement de François Legault s’est engagé, en 2019, à mettre en oeuvre les recommandations du rapport de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (CERP).
Une reconnaissance… «vide»?
Pour Jean Hétu, spécialiste en droit municipal, une reconnaissance par Québec reste hypothétique, et la proposition est essentiellement politique.
«Je pense que ceux qui ont à cœur les intérêts des autochtones devraient être capables de proposer des choses plus concrètes et plus utiles pour leur vie de tous les jours.»
Jean Hétu, professeur au Département de droit, Université de Montréal.
Par ailleurs, en reconnaissance de Montréal comme territoire non cédé pourrait aussi créer des attentes pour les peuples autochtones qui souhaiteraient ensuite faire valoir un droit juridique sur le territoire.
En effet, pour Lenonh Saka’én:ions, du centre culturel Kanien’keháka Onkwawén:na Raotitióhkwa, interrogée par Urbania, si ces déclarations ne s’accompagnent pas de mesures concrètes, elles sont une façon pour les non-autochtones de se donner bonne conscience. «Quel est le résultat? Ça me semble être encore du vide.»
Konstantia Koutouki, spécialiste en droit autochtone à l’Université de Montréal, estime que toute reconnaissance est un pas en avant, mais que ce n’est pas suffisant.
«À ce stade, nous avons beaucoup de gestes symboliques, mais peu, voire aucun, plan ou stratégie concrets pour mettre fin aux dommages continus que nous causons aux nations autochtones.»
Konstantia Koutouki, spécialiste en droit autochtone à l’Université de Montréal.
L’historien Médérik Sioui croit quant à lui que reconnaissance du territoire permet d’éveiller les gens à la présence des peuples autochtones. La réconciliation représente la «ligne d’arrivée», et il juge qu’on se rapproche de celle-ci en accomplissant des gestes, dont «la reconnaissance du territoire fait partie».