CHRONIQUE – Parmi les multiples dangers du populisme vient ce mépris – apparemment incontournable – des libertés publiques. Ces dernières font dorénavant figure de pâle tapis sur lequel il est convenu, chant des sirènes électoraliste oblige, de s’essuyer les pieds.
Et avouons-le candidement : les attaques fusent de toutes parts, partout en Occident. Tirer sur des réfugiés comme en Hongrie d’Orban? Pas de trouble.
Promettre la déportation de 5 millions de Français, dixit Zemmour et appuyé par maints commentateurs? Allons-y gaiement.
Balancer au Rwanda les demandeurs d’asile ayant atteint les rives du Royaume-Uni? Sir, yes sir.
Bolsonaro.
Le Pen.
Une admiratrice de Mussolini au pouvoir en Italie.
L’extrême-droite en contrôle de la Suède.
Les États-Unis? Pensons uniquement à l’héritage de Trump ou aux frasques de De Santis – Don’t say gay bill ! – et la cour est pleine.
Le Canada? Si, en apparence, la terre de Laurier semble échapper aux monstruosités d’ailleurs, reste qu’une fois le nez décollé de la vitrine, certains trucs sautent au visage. Le plus épouvantable, à mon sens, consiste en une affaire récente, celle d’un enfant-soldat sacrifié par Ottawa, résultante d’une stratégie de «wedge politics».
Je me doutais bien, en publiant le bouquin J’accuse les tortionnaires d’Omar Khadr, que le narratif harperien réclamerait ses droits, façon de parler. Prédiction facile, vous me direz, et confirmée par la section commentaires du Globe and Mail, Devoir, Métro ou Rad-Can.
Permettez-moi, en vrac, une réponse aux plus fréquents clichés:
Omar Khadr a tué un militaire américain!
Et selon qui? Stephen Harper? Parce que jamais Khadr n’aura eu droit à un procès juste et équitable, ni à un procès tout court. Ni ici, ni à Guantanamo, ni ailleurs. D’ailleurs, selon les conclusions des thèses balistiques pertinentes, il est pratiquement impossible que Khadr ait lancé la fameuse grenade. Mieux: le général américain en poste au moment de l’attaque a éventuellement falsifié son rapport des événements, effaçant l’existence de l’autre survivant, outre Khadr.
À 15 ans, tu sais ce que tu fais!
Celle-là, plutôt populaire, a été notamment reprise par Richard Martineau, histoire d’excuser la non-application à Khadr des conventions sur les droits de l’enfant. Or, n’en déplaise, celles-ci sont sans équivoque: tout mineur a droit à la protection du droit international. Pourquoi? Parce que manipulé et instrumentalisé (à de viles fins) par des adultes, celui-ci ne peut, il va sans dire, exercer son libre arbitre. Pas du génie nucléaire à comprendre. Surtout quand, comme dans le cas Khadr, son père annonce à lui et ses frères:
– Les gars, quand vous vous ferez sauter pour l’islam, vous aurez droit à la récompense de votre choix, une fois mort. Toi, Omar, que voudras-tu?
– Une piscine remplie de Jello, papa.
L’enfant-soldat a alors… 4 ans.
Son père était un proche de Ben-Laden!
Voir réponse précédente.
Trudeau a donné 10,5 millions à un terroriste!
Non, justement. Trudeau ne lui a rien donné du tout. On appelle ça, plutôt, un règlement hors cour. Pourquoi? Parce que le gouvernement canadien, comme d’ailleurs reconnu par la Cour suprême, a violé le droit à la liberté, à la sécurité et (potentiellement) à la vie de Khadr. Si la poursuite civile de ce dernier s’était rendue à procès, force est de conclure qu’il aurait possiblement obtenu le double de ce montant, peut-être même davantage. Vous êtes fâchés du dédommagement? Moi aussi. Et la meilleure façon que ça n’arrive plus est simple: refuser que nos gouvernements procèdent, entre autres choses, à des interrogatoires sous torture.
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Conclusion? Que les droits fondamentaux ne sont pas asymétriques ou optionnels en fonction de l’individu, sa religion ou les crimes allégués. Ainsi en va de l’État de droit. Et de la démocratie. Parce que sans le premier, pas de seconde.