Pour identifier une panique morale, suffit généralement de trouver un groupe de personnes qui voit dans un phénomène X une menace contre «nos enfants». Les enfants sont vulnérables, on souhaite tous les protéger, il s’agit donc d’un argument rassembleur, derrière lequel acceptent de se ranger plusieurs personnes. C’est ce que fait la droite conservatrice aux États-Unis avec sa panique morale anti-LGBTQ+ dans une nouvelle rhétorique plutôt habile.
Elle nous dit, essentiellement, «On n’est pas homophobes : on veut simplement protéger les enfants». C’est ce qui a donné lieu à la fameuse loi «Don’t say gay» en Floride. Au nom du droit parental de décider de ce qui est bon pour sa progéniture, on interdit aux écoles de présenter du contenu qui pourrait informer les jeunes sur d’autres réalités qu’une hétérosexualité où les genres sont très bien définis. C’est ainsi qu’un livre d’Élise Gravel sur les stéréotypes a été banni de certaines bibliothèques. J’attends toujours les dix chroniques de Mathieu Bock-Côté sur la censure à ce sujet.
Récemment, la panique morale anti-LGBTQ+ a mis l’accent sur une partie de la communauté queer qui dérangeait pourtant peu jusqu’ici : les drag queens. Les drag queens jouissaient depuis plusieurs années d’une forme de tolérance, voire d’indifférence de la part des conservateurs. Perçues comme un divertissement pour adulte inoffensif, elles sont aujourd’hui au cœur des plus grandes inquiétudes. On les accuse de pervertir la jeunesse, de semer la confusion, d’encourager la pédophilie et d’exposer les enfants à de la sexualité. Les drag queens qui lisent des histoires aux enfants dans les bibliothèques constitueraient ainsi une menace extrême à l’identité des enfants.
Et pas besoin de se rendre en Floride pour entendre ce genre de discours. Au Québec, un certain Kevin Big Grenier nous sert exactement cette rhétorique, et plusieurs personnes semblent l’appuyer. Kevin n’a aucun problème avec les lesbiennes, les homosexuels, ou «les hommes prisonniers dans leur corps qui veulent changer de sexe après plusieurs évaluations psychiatriques» (3-4 selon Big), mais des «monsieurs déguisés en madame qui montrent leurs attributs [aux enfants], c’est non».
J’aimerais qu’on me montre le moment où Barbada «montre ses attributs» durant l’heure du conte qu’elle présente dans certaines bibliothèques parce qu’à ce jour, je n’ai vu qu’une drag queen habillée de manière colorée qui semble bien divertir les enfants.
Le problème, c’est que pour certains esprits conservateurs, tout ce qui a trait à la diversité sexuelle et/ou de genre est sexuel. On a déjà reproché à un directeur d’école affichant sur son bureau une photo de lui et son conjoint d’exposer les enfants à sa sexualité. Si la photo les avait montrés en string de cuir en train de se mordre les mamelons, je veux bien, mais il s’agissait d’une photo bien banale comme on en voit sans s’offenser quand il s’agit d’un directeur avec sa femme et ses enfants.
L’instrumentalisation des enfants est nécessaire à la droite parce que les groupes de défense des minorités sexuelles et de genre ont réussi (voilà une victoire que nous pouvons revendiquer, hourra!) à rendre l’homophobie – et, dans une certaine mesure, la transphobie – impopulaire. Mais ne soyons pas dupes : il s’agit toujours de cette bonne vieille homophobie que nous avions collectivement rejetée dans les dernières années, après avoir compris les violences infligées à plusieurs générations d’enfants différents.
La droite cherche à protéger les enfants. Mais qui protège les enfants queers? Et comme on dit dans les rues résidentielles, «Attention à nos enfants, c’est peut-être le vôtre».