CHRONIQUE – Oui, je sais, le pari est de taille. Périlleux, aussi. Dans le sens de parfait pour passer pour l’imbécile de l’année, une fois la décision rendue. Parce que Trump est, sans contredit, l’incontesté champion de la mauvaise surprise.
Me souviens notamment de la présidentielle de 2016, un freak show institutionnalisé mettant en vedette la déchéance d’une démocratie déjà mortifiée.
La question à 100 millions de dollars de l’époque: il s’arrêtera quand, le cirque? Je croyais, mal m’en pris, avoir débusqué la réponse le jour où Donald, excité à son tour d’islamophobie incurable, avait balancé la proposition suivante: la création d’un registre des musulmans, lesquels devraient obligatoirement être «fichés» par un signe distinctif en lieux publics américains. Dossard style 1934, en bref.
«Enfin!, me disais-je alors. Le spectacle est terminé, les copains, plus rien à voir, circulez, je vous prie, et que la démocratie, celle fondée sur un minimum de rationnel, reprenne vie.» Quelques jours plus tard, basta: loin de voir ses appuis se dégonfler, Trump assistait plutôt, sourire fendu, à la hausse de ces derniers. C’est le moment précis où j’ai compris – il était temps – que nous avions les pieds – et bientôt le reste du corps – coincés dans un impossible merdier.
En d’autres termes, parier sur Donald – ou plutôt, contre lui – est un sport impraticable.
Sauf maintenant.
Parce que le délit est gargantuesque et la preuve, patente.
D’aucuns diront que d’être accusé aux fins d’un grand jury new-yorkais, comme c’est le cas dans l’affaire Stormy Daniels, n’est pas rien non plus. Juste. Mais les crimes allégués – soit un contournement des règles de financement électoral – résonnent difficilement autant, aux oreilles de l’Américain moyen, qu’une sombre affaire de sécurité nationale, recette du nucléaire en prime.
Et alors que la preuve sera probablement chambranlante dans le dossier parallèle de l’ex-porn star – le versement est-il limpidement relié à des fins de campagne? –, celle en l’espèce fait sourire.
Pourquoi? Parce que le délit – et sa preuve – s’apparente, sans forcer, à celui d’un enfant de 4 ans ayant piqué des bonbons au magasin du coin, avant de «cacher» ceux-ci dans son premier tiroir de commode.
Pensez-y un instant: un président sortant, mathématiquement déchu et ayant lancé une attaque – sans précédent et sans succès – contre le Capitole afin de conserver le pouvoir, plie momentanément l’échine et rentre chez lui.
Le hic? Il s’accompagne de tonnes de boîtes de documents classés top secret, dont la seule possession hors mandat, et hors institutions préapprouvées, constitue un crime de lèse-démocratie.
Trente-sept beaux chefs d’accusation, flambant neufs, s’ensuivent.
Et quels motifs, pour une défense? Rien, ou pas grand-chose. Parce que l’infraction repose, simplement, sur le fait d’avoir en sa possession, ou non, lesdits documents. Ce qui est le cas. Dans une salle de bain et autres chambres à débarras, par surcroît. Comme on ferait avec un vieux stock de hockey, des livres quasi abandonnés ou encore des vieilles mitaines d’hiver. De toute beauté.
Question, d’ailleurs: à part la revendre à un régime style Iran, elle sert à quoi, la recette du nucléaire? À faire sursauter, pour rigoler, le voisinage?
Pour donner la mesure du sérieux de l’affaire: Harold Martin, un ancien sous-traitant de la National Security Agency (NSA), se fait aussi coincer par le FBI. On trouve des documents classifiés dans sa maison, voiture et cabanon. Sa défense? Aucune. Malgré son acte de contrition et un plaidoyer de culpabilité, on le condamnera à un lourd 9 ans de prison, peine applicable pour… un seul chef d’accusation. Pas de niaisage avec l’espionnage, aux USA.
Bien entendu, les avocats de Trump joueront leur va-tout. La stratégie la plus probable? Tenter de convaincre le jury que même si les crimes allégués ont été commis, les violations sont insuffisantes, côté gravité, afin de justifier une condamnation.
Bonne chance.