Essais cliniques prometteurs, affiches publicitaires, livraison et même une boutique; les champignons magiques se démarginalisent du discours public. La situation de cette drogue rappelle celle du cannabis avant sa légalisation. Mais attention avant de mettre les substances dans le même panier, rappellent des experts.
Si les vertus de la décriminalisation sont claires, il ne s’agit peut-être pas d’une panacée. «Ça peut être très bien si c’est bien fait, ça peut être catastrophique si c’est mal fait», estime la toxicologue judiciaire Tamaro Diallo. L’un des avantages liés à la décriminalisation, selon cette dernière, serait de pouvoir plus facilement «contrôler la dose». Étant naturels, les effets des champignons magiques sont parfois aléatoires.
«On ne connaît pas la dose ni la composition de ce qui est ingéré. En encadrant légalement, on pourrait contrôler les doses et éviter des complications lors de la consommation. Toutefois, même avec des doses standardisées, les effets exerceront toujours une certaine imprévisibilité, alors que différentes personnes réagissent différemment et une même personne peut réagir différemment à différents moments.»
Pour bien décriminaliser, «le plus important serait d’éduquer», selon Mme Diallo. Pour réduire les risques, il faut que les décideurs soient bien au courant de la manière dont cette substance hallucinogène fonctionne. Si la dépendance à la psilocybine, l’ingrédient actif des champignons magiques, est très rare, sa consommation peut entraîner «la consommation de substances autres» qui, elles, pourront «engendrer des dépendances», dit la toxicologue. Les réactions à ces autres substances peuvent aussi être imprévisibles. Il faudrait donc «maintenir des garde-fous».
La décriminalisation «entraînerait un changement de public cible» des champignons magiques. «Des curieux» s’ajouteraient au lot des consommateurs et si la vente se faisait en boutiques, certaines «personnes qui en consommaient déjà» pourraient devenir socialement exclues de ce marché. Ne connaissant pas la démographie des consommateurs post-décriminalisation, il importe que «le public soit éduqué» sur la substance et ses effets.
Amalgames et désinformation
Depuis janvier 2022, Santé Canada admet que la substance peut avoir des bienfaits sur certains patients qui ont des problèmes de santé mentale. «Des évidences montrent que les expériences induites par ces substances peuvent être porteuses de bénéfices dans un contexte de psychothérapie», décrit le Dr Nicolas Garel, psychiatre et postdoctorant à l’Université Stanford ayant administré des traitements de psilocybine à plusieurs patients.
Si les pourfendeurs de la décriminalisation peuvent sous-estimer la valeur de la psilocybine, certains défendeurs la surenchérissent, comme les propriétaires de la boutique Funguyz, selon lesquels la psilocybine en microdose serait médicinale.
La réalité serait plus complexe. Malgré des tests cliniques qui sont fructueux, on ne pourrait dire si la molécule à haute dose est «en elle-même thérapeutique, explique le Dr Garel. Elle n’a jamais été étudiée à l’extérieur d’une intervention globale».
L’utilisation de la psilocybine de cette manière ne serait donc qu’un élément parmi d’autres qui constituent ensemble une «intervention globale». Il importe aussi de rappeler que les personnes chez qui ces effets sont mesurés «ont des diagnostics de problèmes de santé mentale», ce qui n’est pas le cas de l’ensemble de la population.
Lorsqu’utilisé à l’extérieur d’un contexte psychothérapeutique, comme en microdose, soit d’une quantité suffisamment faible que «les gens ne soient pas censés savoirs qu’ils ont des effets», les données sont embryonnaires. À ce niveau, «on a ici des données qui montrent qu’il y aurait peut-être des effets sur l’attention, la douleur, l’humeur et la concentration, mais ce n’est pas sûr encore si les effets sont seulement dû à l’effet placébo», poursuit le Dr Garel, démentant l’argument de Funguyz.
Des vertus à explorer
Les drogues psychédéliques comme les champignons magiques font l’objet de récentes recherches. La situation n’est pas sans rappeler le parcours légal que le cannabis a subi. Plusieurs années avant son ultime légalisation, son utilisation à des fins thérapeutiques a été permise, mais contrôlée.
À l’heure actuelle, pour recevoir un traitement psychothérapeutique qui inclut la psilocybine, le patient doit avoir échoué «toutes les autres interventions». Contrairement à d’autres formes d’interventions, le traitement à la psilocybine est «très demandant». Si l’encadrement psychothérapeutique réduit les risques et que la «marge de sécurité est élevée, des personnes peuvent sortir de là avec de la détresse. Les conséquences peuvent ne pas être banales», admet le Dr Garel.
L’accompagnement permet d’atténuer ces risques, mais aussi «d’intégrer les expériences acquises» lors de la consommation de la substance à des fins positives. Une telle intégration positive et une réduction des méfaits n’est pas mesurée par rapport à une consommation effectuée à l’extérieur du contexte d’accompagnement clinique, laquelle serait permise advenant une décriminalisation.
Si des données soutiennent néanmoins que la décriminalisation impliquerait «beaucoup de bénéfices pour diminuer les conséquences négatives» de la consommation, il s’agit «d’un enjeu de société». Pour décider de la marche à suivre, étant donnée la complexité de la question, «ça nécessite beaucoup de monde, des tables d’experts, etc., partage le Dr Garel, qui étudie de près les effets thérapeutiques des champignons magiques.
Position claire
La Ville de Montréal est ouvertement en faveur de la décriminalisation des drogues, notamment des champignons magiques. «Dans une optique de santé publique et considérant la crise des surdoses liées aux opioïdes et aux autres drogues illicites qui sévit depuis plusieurs années, la décriminalisation des drogues sauve des vies par la réduction des méfaits», commente l’attachée de presse au cabinet de la mairesse, Béatrice Saulnier-Yelle.
«Quand on traite les enjeux de consommation dans une perspective de santé publique, on crée un climat de confiance qui favorise les interventions rapides qui réduisent les risques pour les consommateurs. Cette approche est également défendue par l’Association canadienne des chefs de police, le SPVM, et la santé publique», conclut-elle.