Mobilité

Faut-il une collaboration entre villes et commerçants pour réussir une piétonnisation ?

Ugo Lachapelle, Université du Québec à Montréal (UQAM) et Roxane Bédard, Université du Québec à Montréal (UQAM) - La Conversation

Le développement des rues piétonnes a atteint un sommet en 2020 au Québec, en réponse à la pandémie. On souhaitait notamment assurer une distanciation entre les piétons et permettre l’ouverture des terrasses des restaurants et des bars.

Plusieurs d’entre elles continueront à opérer selon ce mode cet été. Le modèle fait des émules. Ce n’est pas surprenant, puisque les résultats sont parfois fort impressionnants.

Par exemple, la ville de New York rapporte des ventes taxables de 20 % supérieures et une meilleure rétention des commerces sur les rues piétonnes, par rapport à celles comparables. Malheureusement, peu de villes ont ainsi rendu publiques des données objectives des retombées de leurs programmes.

Variation du nombre de restaurants et bars sur des rues piétonnes (Open Streets) en comparant à des rues contrôles et à la moyenne du quartier à New York. Streets for Recovery : The Economic Benefits of the NYC Open Streets Program

Dans le cadre de la recherche préparatoire à son mémoire de maîtrise, Roxane Bédard, sous ma direction, a produit un inventaire de ces initiatives au Québec, principalement basé sur la couverture médiatique des projets de piétonnisation. En tant que chercheurs intéressés par les politiques publiques, les villes et la mobilité durable, nous nous intéressons aux acteurs et aux facteurs de succès des projets de transformation de rues.

Ainsi, les Sociétés de Développement Commercial (SDC) sont devenues des facilitatrices souvent indispensables dans les démarches de piétonnisation. Celles-ci ont démontré pouvoir convaincre leurs membres, structurer des solutions acceptables, négocier avec les villes, obtenir des fonds publics pour mener à bien ces activités et maintenir l’engagement de leurs membres, parfois sur le long terme.

Les SDC peuvent également rassembler des voix divergentes. Les restaurants, bars et commerces « de routine », de quartier et de consommation spontanée sont ceux qui gagnent le plus d’une piétonnisation. Au contraire, les propriétaires de commerces dits de « destination », attirant une clientèle vivant plus loin, intéressée par un produit spécialisé difficile à trouver ailleurs, craignent la perte de stationnement et d’achalandage.

Pas seulement dans les grandes villes, mais plus difficile en région

Dans les dernières années, près d’une quarantaine de rues commerciales piétonnes ont été déployées au Québec.

Avant la pandémie, des projets de piétonnisation existaient, autant à Montréal et Québec qu’en région, mais généralement dans une logique événementielle et ponctuelle. Le centre-ville de Trois-Rivières est ainsi passé depuis 2020 d’une piétonnisation les vendredi et samedi soir à une rue piétonne permanente lors de la saison estivale. Rouyn-Noranda et Sherbrooke ont suivi des trajectoires similaires.

Bien que la plupart des piétonnisations de 2020 aient été couronnées de succès, aucun de ces projets n’ont été reconduits en 2023 dans les autres villes recensées, soit Alma, Saint-Hyacinthe, Shawinigan, La Tuque et Victoriaville. La SDC de La Tuque déclare toutefois avoir vu l’intérêt de s’impliquer dans l’urbanisme et l’embellissement, tandis que celles de Victoriaville et de Saint-Hyacinthe retourneront à l’animation ponctuelle.

L’abandon des projets de piétonnisation semble ainsi plus fréquent en région. À Montréal, un programme de subvention de rues piétonnes et partagées en vigueur depuis 2015 facilite certainement le succès et la pérennisation de celles-ci. Ainsi à Montréal cet été, dix rues seront piétonnes. Mont-Royal le sera durant quatre mois plutôt que trois.

Un programme panquébécois de subventions pourrait aider à remédier cette disparité. En effet, cela pourrait clarifier les objectifs et les modalités de la piétonnisation tout en partageant le fardeau des coûts.

Foule piétonne marchant sur la rue Sainte-Catherine dans le Village à Montréal sous les boules roses en 2016.. (Carl Campbell)

Partager le risque politique de la piétonnisation

Bien qu’une SDC ne soit pas nécessaire à la piétonnisation, elle y est très utile.

Elle permet notamment à la Ville de déléguer les responsabilités d’animation et de gestion et de traiter avec un unique interlocuteur. Dans le quartier Mile-End, à Montréal, faute d’une SDC, un conseiller municipal a dû aller voir chacun des commerçants pour leur expliquer le concept de rue partagée.

Pour les commerçants, une SDC permet d’avoir une voix forte et unie auprès des élus pour mettre des ressources en commun, réclamer des aménagements favorables aux commerces et obtenir des fonds. Des subventions qui stimulent le dynamisme des artères commerciales tout en améliorant la qualité de vie tendent à établir un certain consensus.

La création de rues piétonnes encourage la mobilité active, ce qui peut être mal vu des automobilistes. Ainsi, les politiciens municipaux peuvent partager une partie du risque politique de ces changements dans l’aménagement avec la SDC. Le maire de La Tuque, disait en 2020 qu’il n’avait jamais osé piétonniser son centre-ville, même s’il y pensait depuis longtemps, mais qu’avec le soutien de la SDC, c’était maintenant le bon moment. La participation des acteurs commerciaux peut servir d’impulsion au projet même s’il s’agit d’une décision de la municipalité.

La SDC peut également rejeter une partie de la responsabilité sur la Ville en cas de problèmes, puisque que cette dernière est formellement responsable du projet. En somme, à travers le processus de piétonnisation, la Ville et la SDC forment une relation fort symbiotique !

Vers une transformation de la mobilité

La piétonnisation d’artères commerciales est une démarche importante dans la transition vers une mobilité durable.

Pour que les commerçants puissent collectivement participer à cette transformation, ils devront probablement militer au-delà de leur tronçon commercial respectif, et en considérer plus généralement l’accès par des modes alternatifs. En effet, si on réduit ou complique l’accès à une artère commerciale en automobile, on doit l’augmenter par d’autres modes de transport pour qu’elle conserve son dynamisme, son attractivité et son bassin de clientèle. Ainsi, sans transport collectif vers le centre-ville le dimanche à Saint-Hyacinthe, on a restreint en partie l’accès à l’artère.

En se mobilisant pour diversifier les modes d’accès à leurs artères commerciales, particulièrement si elles sont piétonnisées, les SDC du Québec pourraient devenir des alliées de taille à la mobilité durable.

Ugo Lachapelle, Professeur au département d’études urbaines et touristiques, Université du Québec à Montréal (UQAM) and Roxane Bédard, Auxiliaire de recherche en études urbaines, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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