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La réponse à la pandémie, une occasion manquée de s’attaquer aux inégalités au Québec et dans le monde

Marie-Catherine Gagnon-Dufresne, Camille Beaujoin, Fanny Chabrol, Lara Gautier, Stéphanie Gomes de Medeiros, Valery Ridde et Zoé Richard, - La Conversation

La progression de la pandémie dans le monde durant les deux dernières années n’a fait qu’exacerber les inégalités sociales déjà existantes au sein de la population mondiale, font valoir plusieurs chercheurs.


ANALYSE – Deux ans après le début de la pandémie de Covid-19, nous savons que certains groupes de la population ont été touchés de manière disproportionnée par la Covid-19.

Nous savons aussi que les inégalités sociales de santé (ISS) peuvent être exacerbées si elles ne sont pas considérées dès la conception des interventions de santé publique.

Voilà pourquoi nous avons lancé HoSPiCOVID, une étude internationale sur la résilience des systèmes de soins et de santé publique de plusieurs pays face à la pandémie de Covid-19. L’étude est portée par une équipe de recherche composée de spécialistes internationaux en épidémiologie, médecine, santé publique, sciences sociales et géographie.

Les auteurs — des chercheurs, professionnels de recherche et étudiants — ont été impliqués dans le volet santé publique d’HoSPiCOVID en raison de leur expertise sur les ISS. Ce volet s’est penché sur la prise en compte des ISS dans la planification du dépistage et du suivi des contacts pour la Covid-19 au Brésil, en France, au Mali et au Québec. Alors que nous comparons les données, le constat est clair : la question des ISS a largement été oubliée dans la réponse initiale à la Covid-19. Elle devrait pourtant être une priorité en contexte pandémique.

Des réponses adaptées aux besoins des populations

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’équité en santé est définie comme l’absence d’écarts systématiques de santé entre des groupes sociaux. Les ISS correspondent aux différences d’états de santé entre divers groupes de la population en raison de leurs positions sociales (ex.: genre, âge, statut socioéconomique, lieu de résidence).

L’OMS reconnaît les ISS comme injustes et évitables. Elles peuvent pourtant être réduites par des politiques gouvernementales.

Les interventions de dépistage et de suivi des contacts jouent un rôle central dans le contrôle des maladies infectieuses, telle que la Covid-19. Elles permettent la détection, l’isolement et le suivi des cas infectés. Le succès de ces interventions dépend de leur capacité à atteindre tous les groupes de la population, au risque de ne pas freiner la propagation du virus, d’une part, et d’accroître les ISS, d’autre part. L’adoption d’une approche d’universalisme proportionné peut être bénéfique en contexte pandémique.

L’universalisme proportionné permet le déploiement d’interventions pour l’entièreté de la population, accompagnées d’efforts supplémentaires proportionnels au niveau de désavantage des divers groupes sociaux. Cette approche est plus équitable, considérant que les groupes les plus difficiles à atteindre sont souvent ceux dans le plus grand besoin.

Dans le contexte de la Covid-19, une approche d’universalisme proportionné aurait pu comprendre des interventions populationnelles de dépistage et de suivi des contacts, combinées à des efforts concertés pour les rendre plus accessibles aux populations défavorisées. Bien que cette approche ait souvent été identifiée comme préférable pour améliorer l’équité en santé, notre étude montre qu’elle ne semble pas avoir été priorisée.

Pas de consensus sur les inégalités

Le volet santé publique d’HoSPiCOVID repose sur des études de cas qualitatives comparant la réponse de la santé publique à la pandémie de Covid-19 lors de la première vague (au printemps 2020) et des adaptations mises en œuvre lors de vagues subséquentes (jusqu’à la fin de 2020). L’étude porte sur quatre sites de continents différents : l’État d’Amazonas au Brésil, la région de l’Île-de-France en France, la ville de Bamako au Mali et la ville de Montréal au Québec.

La perception des ISS des acteurs et de leurs organisations varie dans chacun des sites. À Montréal, les personnes interrogées de divers secteurs (hospitalier, santé publique, communautaire, etc.) soutiennent que la réflexion sur les ISS est bien intégrée au mandat de leur organisme, à différents degrés. En Île-de-France, en Amazonas et à Bamako, cette réflexion apparaît moins formalisée.

Néanmoins, à Montréal et en Île-de-France, les acteurs identifient rapidement, pendant la première vague, plusieurs groupes comme étant plus vulnérables à la Covid-19. Ils mentionnent notamment les impacts inégalitaires de la pandémie sur les populations racisées et migrantes, ce que plusieurs études ont finalement montré. À Bamako et en Amazonas, la plupart des acteurs rencontrés considèrent plutôt que la pandémie n’a pas exacerbé les ISS, considérant que le virus n’affecte pas un groupe social plus qu’un autre.

Ainsi, dans les quatre sites, les différents acteurs n’ont pas une conception consensuelle des ISS, nuisant potentiellement à leur prise en compte dans les interventions de dépistage et de suivi des contacts. Par ailleurs, le constat selon lequel certains groupes sont plus affectés que d’autres par la pandémie ne se traduit pas directement dans ces interventions.

Un climat d’urgence

À Montréal, à Bamako et en Île-de-France, différents acteurs affirment que le climat d’urgence lié à la pandémie éclipse la question des ISS. Elle est mise de côté pour prioriser le déploiement d’interventions à l’échelle de toute la population, dans l’objectif de freiner la propagation du virus.

Cette approche populationnelle est perçue comme nécessaire en contexte pandémique pour que l’ensemble de la population ait un accès égal aux interventions. Égalité et équité sont donc parfois confondues. Certains répondants soulignent néanmoins l’importance d’adapter les interventions pour atteindre les sous-groupes les plus vulnérables.

En Amazonas, le dépistage — non ouvert à l’ensemble de la population — cible plutôt les sous-groupes considérés à risque, incluant initialement les professionnels de la santé, les travailleurs essentiels et les patients hospitalisés. Ce processus de dépistage axé sur les groupes à risques, mis en œuvre lors de la première vague par les autorités d’Amazonas, perdure lors des vagues suivantes.

Une réponse plus adaptée au fil du temps

Les interventions de dépistage et de suivi des contacts se sont adaptées au fil du temps. Bien que la question des ISS soit peu considérée à l’étape de la planification initiale des interventions, on s’y intéresse davantage lors de leur mise en œuvre au courant de la première vague. Confrontés à la réalité du terrain, les acteurs impliqués dans la planification des interventions adaptent les interventions pour les vagues subséquentes.

À degré variable entre les sites, favoriser l’accessibilité des interventions devient une priorité dans le but d’atteindre les populations marginalisées. Ces adaptations visent notamment les populations rurales à Bamako, les populations migrantes, racisées et allophones à Montréal, les populations à faible statut socioéconomique en Île-de-France, et les populations autochtones en Amazonas.

Parmi les adaptations mises en œuvre, on note le déploiement de cliniques mobiles, la création de nouvelles cliniques de dépistage et l’aide à l’isolement pour les personnes vulnérables testées positives. Le dépistage et le suivi des contacts ont donc été progressivement adaptés, permettant de mieux répondre aux besoins différenciés de certains groupes de la population.

Un oubli historique

Alors que les interventions de dépistage et de suivi des contacts mises en œuvre pour faire face à la Covid-19 ne semblent pas avoir considéré les ISS comme une priorité dans leur planification, la pandémie actuelle ne fait pas exception. Il semble plutôt que cet oubli soit historique. Deux revues de littérature menées par notre équipe démontrent effectivement que lors d’épidémies passées dans différents pays (maladies sexuellement transmissibles, VIH, Ebola, tuberculose), la grande majorité des interventions de dépistage et de suivi des contacts ne repose pas sur des stratégies favorisant leur déploiement équitable.

Depuis plusieurs décennies, les appels à la prise en compte de l’équité et de la justice sociale dans les interventions de santé publique s’accumulent. Différents documents phares de la santé publique — de la Déclaration d’Alma-Ata de 1978 à la Commission sur les déterminants sociaux de la santé de 2008, en passant par la Charte d’Ottawa de 1986 — insistent sur l’importance de faire de la réduction des ISS une priorité et la base de toute intervention de santé publique.

La réponse à la pandémie de Covid-19 apparaît alors comme une opportunité manquée, qui met en lumière l’attention politique insuffisante portée aux mandats de la santé publique.

Notre étude invite donc à s’attarder à l’évaluation de la capacité des interventions sanitaires à tenir compte des ISS, permettant aux professionnels et responsables politiques concernés par la santé publique d’en tirer des leçons. Cela est indispensable pour que les futures interventions de santé publique n’aggravent pas les ISS, et que le climat d’urgence engendré par les pandémies — dont la multiplication semble inévitable — ne serve plus de prétexte au manque de volonté politique à l’échelle mondiale.


Nous remercions nos collègues Raylson Emanuel Dutra da Nóbrega et Sydia Rosana de Araújo Oliveira pour leur contribution importante à l’étude HoSPiCOVID et leur soutien dans la rédaction de cet article.

Marie-Catherine Gagnon-Dufresne, Étudiante au doctorat en santé mondiale, Université de Montréal; Camille Beaujoin, Research assistant, Université de Montréal; Fanny Chabrol, Sociologue, chargée de recherche, Centre Population & Développement (CEPED), Institut de recherche pour le développement (IRD); Lara Gautier, Professeure adjointe, Université de Montréal; Stéphanie Gomes de Medeiros, Candidate au doctorat en sociologie, Universidade Federal de Pernambuco; Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD) et Zoé Richard, Ingénieure d’étude, santé publique et COVID-19, Université Paris Cité

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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