CHRONIQUE – Le gaslighting est une forme de détournement cognitif par lequel un individu déforme la réalité à son avantage à un point tel que ses interlocuteurs finissent par douter de leur propre perception des choses. Le principe repose sur le fait qu’on tient pour acquis que des individus de bonne foi communiquent entre eux des vérités. Quand ces informations s’éloignent de la réalité, on se dit que, forcément, c’est nous qui avons mal compris.
En marketing, la technique a été peaufinée depuis des années : la banque avec les plus petites heures d’ouverture peut vous convaincre du contraire en martelant dans ses publicités qu’elle a les plus longues heures et vous voilà convaincus que vous y serez mieux servi. Ça, et Tim Hortons offre le meilleur café. Le gaslighting s’alimente à même la fausseté : plus le mensonge est gros, moins on le remet en question. Donald Trump est d’ailleurs le plus grand féministe que la Terre ait connu!
C’est ainsi qu’au milieu de la pire crise du logement que le Québec ait connu depuis 20 ans, François Legault s’est permis de dire que tous déménageraient comme sur des roulettes, puisqu’en quatre 1er juillet sous sa gouverne, personne ne s’est retrouvé à la rue. Comment peut-on affirmer ceci sans croiser ses doigts derrière son veston? Le contraire est écrit noir sur blanc dans les statistiques de dénombrement de l’itinérance. Un recensement bien incomplet, qui ne tient compte que de l’itinérance visible, la pointe d’un iceberg au bas duquel on trouve des personnes en situation de couchsurfing, des familles à l’hôtel ou chez des amis, en attendant, des ménages qui consacrent plus de 50% de leur revenu au logement, et des femmes forcées de rester dans une relation violente faute de moyens pour se loger avec leurs enfants. Les ressources d’hébergement voient de nouvelles sortes de visages : des femmes âgées, des personnes qui demandent de l’aide pour une première fois, des familles nucléaires.
De ma perspective – qui n’est peut-être pas scientifique, mais qui est certainement différente de celle de monsieur Legault – l’enjeu du logement n’a jamais paru aussi criant. Des gens de mon entourage avec de bons revenus en arrachent pour se loger. La tension sociale est à son comble entre petits propriétaires forcés d’allonger de plus en plus de dollars pour rembourser une hypothèque gonflée par la surenchère, refilant aux locataires une inflation que les salaires ne suivent pas. On identifie l’immigration comme facteur créant de la rareté, avec les risques de débordement que cela comporte.
Dans ce contexte, l’insensibilité du premier ministre et de sa ministre de l’Habitation est non seulement méprisante, elle est indécente, gênante et révélatrice de la perception qu’a ce gouvernement de la population qu’elle dessert. Si François Legault peut dire sans l’ombre d’un scrupule que personne ne s’est retrouvé à la rue sous sa gouverne, c’est qu’il ne considère pas comme des personnes les simples mortels de la classe moyenne qui se retrouveront devant rien le 1er juillet. Ce que Legault voulait peut-être dire sans trahir sa vérité, c’est que personne qui compte à ses yeux ne s’est retrouvé à la rue les quatre derniers 1er juillet.