Alors que le Canadien de Montréal est à la croisée des chemins, le premier choix au prochain repêchage de la Ligue nationale de hockey (LNH) pourrait venir changer le portrait du club pour les années à venir. La pression sera toutefois énorme, autant pour l’organisation du Tricolore que pour le joueur sélectionné.
La dernière fois que le Canadien de Montréal a repêché au tout premier rang de la LNH, c’était en 1980. Quarante-deux ans plus tard, l’état-major du Tricolore devrait, jusqu’à preuve du contraire, être le premier groupe de décideurs à monter sur le podium le 7 juillet prochain au Centre Bell. C’est à ce moment que le directeur général Kent Hughes et son bras droit Jeff Gorton jetteront leur dévolu sur le jeune hockeyeur le plus prometteur de la planète à leurs yeux.
À moins d’un important soubresaut, Shane Wright sera l’heureux élu.
Évoluant dans la Ligue de hockey de l’Ontario (OHL), Wright est classé au premier rang de la liste finale de la Centrale de recrutement de la LNH. «On ne peut jamais être sûr, mais tout indique que le Canadien choisira Shane Wright», mentionne l’ancien recruteur dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) Simon Boisvert, en entrevue avec Métro.
Entre espoir et prudence
En 1980, le Canadien repêchait au premier rang Doug Wickenheiser. Un certain Denis Savard était réclamé deux rangs plus tard, par les Blackhawks de Chicago. Les amateurs de longue date du Tricolore s’en mordent encore les doigts.
Cet été, le Canadien ne voudra pas se tromper, mais la réalité est telle qu’il est fort probable que ça se produise.
«Le Canadien n’a pas vraiment d’autre choix que de choisir Shane Wright parce que c’est le choix le plus sécuritaire. Il est premier sur la liste de tous les experts depuis trois ans», mentionne Simon Boisvert.
Celui qu’on surnomme «Snake» n’est toutefois pas convaincu qu’il s’agisse du meilleur choix.
«C’est un très bon joueur, il a un tir élite. Une ou deux fois par match, on voit des flashs de joueur dominant. Ça peut être une qualité, mais le défaut, c’est que ça n’arrive pas assez souvent», explique M. Boisvert.
Malheureusement pour la direction du Canadien, les probabilités sont que quelqu’un va être meilleur que Shane Wright, mais on ne sait pas qui. Ça se peut que le meilleur joueur de la cuvée soit le 9e joueur sélectionné. C’est tout à fait possible.
Simon «Snake» Boisvert, ex-recruteur de la LHJMQ
Montréal, pression et boyau d’arrosage
Être sélectionné au premier rang de la LNH par le Canadien de Montréal est naturellement synonyme de pression. À l’ère des réseaux sociaux, jamais un choix du CH n’a été considéré comme le meilleur espoir au monde. Les médias le scruteront à la loupe et les partisans l’idolâtreront, forcément.
Lundi, le Canadien de Montréal a même tenu à rappeler que «huit joueurs choisis au premier rang ont été intronisés au Temple de la renommée du hockey».
Mais tôt ou tard, les déceptions surgiront. C’est à ce moment que Shane Wright devra garder la tête froide. Encore faut-il qu’il en soit capable.
«Il faut que l’organisation se pose la question: si ça ne se passe pas bien la première année, qu’est-ce qu’on va mettre en place pour le soutenir, et non pas pour lui ajouter de la pression?», explique le psychologue sportif Jean-Michel Pelletier. Il rappelle que la ligne entre le soutien et la pression est parfois très fine.
«Ça peut devenir intrusif: on va te mettre en place une nutritionniste, une physio, un préparateur physique. Mais le joueur avait peut-être simplement besoin d’aller voir sa famille durant une fin de semaine ou de parler avec quelqu’un», poursuit M. Pelletier.
Quand un boyau d’arrosage est noué, et tu mets de la pression dedans. Il arrive quoi? Ça pète.
Jean-Michel Pelletier, psychologue sportif
«Il faut se donner le temps de défaire le nœud, de détendre tout ça et après on peut recommencer à mettre de l’eau. La seule personne qui a le pouvoir de dénouer le boyau, ce n’est pas le psychologue, ce n’est pas l’organisation, c’est l’athlète lui-même», ajoute le psychologue sportif.
«Une pratique biaisée»
Si évaluer le talent de jeunes hockeyeurs est loin d’être une science infuse, brosser le portrait psychologique d’un athlète de 17 ans l’est encore moins. C’est justement un des rôles des recruteurs et de l’état-major des formations de la LNH. Les jeunes espoirs sont interviewés, un à un, question de déceler qui démontre la plus grande force de caractère et lequel d’entre eux saura le mieux réagir face à la pression.
Le psychologue sportif Jean-Michel Pelletier considère cette pratique comme biaisée.
«J’ai déjà vu des questionnaires du genre et il y a beaucoup de mauvaises traductions, les questions sont mal formulées, c’est délicat, ça peut créer des conflits», fait savoir M. Pelletier.
«Oui on voit la personnalité des gens dans ces rencontres, mais on ne peut pas brosser un portrait psychologique et juger de la force mentale de l’athlète», poursuit celui qui se penche sur les questions des blocages mentaux et de la perception des échecs.
Simon «Snake» Boisvert abonde dans le même sens.
«Les joueurs sont préparés pour ces entrevues. Les agents discutent avec eux pour leur dire quelles réponses les dirigeants des équipes veulent entendre»,
mentionne l’ex-recruteur.
«Moi, je regardais souvent comment un joueur réagit quand son club perd 6-1 en troisième période. Si le gars se laisse aller, pour moi, ce n’est pas bon signe. Certains recruteurs partent de l’aréna quand un match est 6-1. Moi, au contraire, je pense qu’on peut voir beaucoup de choses de ces situations-là», conclut Simon Boisvert.
Un joueur exceptionnel
En 2019, Shane Wright a obtenu le statut de «joueur exceptionnel» de la part de Hockey Canada, ce qui lui a permis de jouer dans la Ligue de hockey de l’Ontario (OHL) à l’âge de 15 ans. L’âge minimal est habituellement fixé à 16 ans. Il est devenu à l’époque le sixième joueur de la Ligue canadienne de hockey (LCH) à obtenir un tel privilège.
Connor McDavid a lui-même reçu le statut de joueur exceptionnel à l’âge de 15 ans en plus d’être repêché au premier rang par les Oilers d’Edmonton en 2015. Il est aujourd’hui considéré comme le meilleur joueur au monde.
En 2014, Aaron Ekblad s’est vu repêché au tout premier rang avec le statut de joueur exceptionnel en poche. Aujourd’hui, plusieurs considèrent que Leon Draisaitl, alors repêché troisième, aurait dû être le premier joueur sélectionné.
Il sera intéressant de voir comment Wright se développera au fil des années, parce que le repêchage n’est pas une finalité, mais un commencement.