WASHINGTON — Les enregistrements divulgués n’étaient pas matière à controverse: des conversations téléphoniques qui semblent être entre le candidat démocrate Joe Biden et l’ancien président ukrainien confirmaient le compte-rendu de l’ancien vice-président.
Mais les enregistrements au ton saccadé — rendus publics par un député ukrainien qui est décrit comme un «agent russe actif» par les responsables américains — ont néanmoins été récupérés par le président Donald Trump et ses partisans pour promouvoir des théories du complot sur le candidat démocrate à la présidence.
Selon une analyse de l’Associated Press, les publications et les vidéos portant sur les enregistrements ont été visionnées des millions de fois sur les réseaux sociaux, même si l’administration Trump elle-même dit que celles-ci s’appuient sur «des récits faux et non fondés».
La prolifération de ces bandes audio sur les réseaux sociaux démontre à quel point les activités étrangères visant à influencer les élections américaines atteignent toujours facilement les Américains, malgré les efforts de Facebook, YouTube et Twitter pour freiner cette ingérence.
Comme il n’y a aucune preuve que les enregistrements ayant fait l’objet d’un important montage ont été volés ou ont été entièrement fabriqués, ils ont pu prospérer en ligne, contournant les nouvelles politiques mises en place par les entreprises de médias sociaux pour empêcher l’ingérence étrangère dans les élections de cette année.
Et contrairement à 2016, lorsque la Russie a utilisé de faux comptes ou des robots sur les médias sociaux pour mener une campagne de désinformation, cette fois, ces messages sont diffusés par des utilisateurs américains légitimes.
«C’est certainement une campagne d’influence», a déclaré Nina Jankowicz, spécialiste de la désinformation au Wilson Center, un organisme non partisan.
«C’est trompeur pour un public qui n’a pas le portrait complet.»
Un «agent russe actif»
Les enregistrements des appels de Joe Biden avec le président ukrainien de l’époque, Petro Porochenko, ont été publiés en mai par le parlementaire ukrainien Andrii Derkach, diplômé d’une académie d’espionnage de Moscou. Il avait rencontré l’année dernière l’avocat personnel de Donald Trump, Rudy Giuliani, pour lui faire part d’allégations de corruption sans fondement contre Joe Biden et son fils, Hunter.
Ces conversations ont été rapidement diffusées par des personnalités conservatrices, dont le fils aîné de M. Trump, et des organes de presse conservateurs sur les réseaux sociaux. Les enregistrements ont alimenté les théories du complot, la spéculation et la désinformation sur le rôle de Joe Biden dans le congédiement du procureur en chef de l’Ukraine lorsqu’il était vice-président.
Des responsables du renseignement américain avaient fait référence à M. Derkach dans une déclaration le mois dernier, l’accusant d’aider la Russie dans ses efforts pour saboter la candidature de Joe Biden. Jeudi, le département du Trésor a sanctionné M. Derkach, l’identifiant comme un «agent russe actif» pendant plus d’une décennie et lui reprochant d’avoir répandu des «allégations non fondées» auprès des électeurs américains et d’avoir tenté d’influencer l’élection.
Cela n’a pas empêché Donald Trump de récupérer les enregistrements à sa guise. Il a partagé sur Twitter un message avec un extrait de la bande audio, et un autre qui dénonçait «les cassettes de pot-de-vin de Biden».
Les entreprises de médias sociaux sont moins enclines à bannir du contenu partagé par de vrais utilisateurs.
«Le processus d’arbitrage devient bien plus compliqué s’il s’agit d’un véritable média connu ou d’un véritable utilisateur américain ou d’un véritable utilisateur en général», a expliqué Bret Schafer, chercheur spécialisé dans les médias et la désinformation numérique à l’Alliance for Securing Democracy, un groupe de réflexion de Washington.
Un procureur critiqué
L’essentiel des affirmations avancées par M. Trump et ses partisans est que Joe Biden a demandé le congédiement du procureur ukrainien Viktor Shokin pour éviter une enquête criminelle à Burisma — une entreprise de gaz naturel où Hunter Biden siégeait au conseil d’administration.
Dans un appel téléphonique qui a fait l’objet d’un montage et qui circule maintenant en ligne, Joe Biden dit à M. Porochenko qu’il versera 1 milliard $ US au pays une fois que M. Shokin sera renvoyé.
Or, cette théorie a été discréditée puisque M. Shokin n’a jamais mené d’enquête active sur le travail de Hunter Biden. Et Joe Biden, en cherchant le licenciement du procureur, représentait la position officielle de l’administration Obama et de ses alliés occidentaux qui percevaient M. Shokin comme étant trop conciliant avec la corruption. À l’époque, M. Shokin faisait face à de nombreuses critiques pour ne pas avoir poursuivi les tireurs d’élite qui avaient ouvert le feu sur des manifestants à Kiev.
La campagne de Joe Biden affirme que les enregistrements des appels ont été lourdement modifiés. Les conversations entre MM. Biden et Porochenko n’ont pas été dévoilées publiquement, mais l’administration Obama en avait publié des résumés en 2016, dans lesquels il était question du remplacement du procureur. M. Shokin a été remplacé en mars de cette année-là.
Aucune violation de politique
L’origine des enregistrements est mystérieuse. M. Derkach a déclaré qu’ils venaient de journalistes d’enquête, mais il est possible qu’ils aient été volés par un service de renseignement étranger. Cela n’enfreint pourtant pas les nouvelles interdictions des géants de la technologie sur les informations piratées, comme les courriels démocrates dérobés en 2016.
YouTube, par exemple, a conclu que les enregistrements n’enfreignaient pas ses politiques parce que l’entreprise n’a pu confirmer qu’ils ont été obtenus par le piratage. La campagne de Joe Biden avait milité pour retirer les enregistrements, plaidant qu’ils ont été utilisés pour tromper le public, mais l’entreprise a refusé, selon une personne bien au fait de la requête qui s’est exprimée sous le couvert de l’anonymat.
Twitter a aussi statué que cela n’enfreignait pas ses politiques puisqu’il n’était pas clair que le contenu avait été obtenu illégalement. Facebook n’a pas répondu aux demandes de l’Associated Press.
Amanda Seitz et Eric Tucker, The Associated Press