Rencontre multipartite sur les violences sexuelles
MONTRÉAL — Des députées des trois partis d’opposition représentés à l’Assemblée nationale ont rencontré la ministre de la Justice, lundi, pour réfléchir à des moyens d’améliorer le traitement des plaintes d’agression sexuelle dans le système de justice.
Certains ont suggéré d’instaurer un tribunal spécial pour les cas d’agression sexuelle. Le premier ministre François Legault dit être ouvert à l’idée.
La péquiste Véronique Hivon, qui plaide vivement pour cette option, estime que le nombre modeste de femmes qui portent plainte pour des agressions sexuelles démontre qu’il faut réformer le système.
«La confiance n’est pas là dans le système de justice. Si les victimes avaient confiance, elles se présenteraient devant les policiers, elles déposeraient des plaintes», a-t-elle soutenu avant la rencontre au Palais de Justice de Montréal, où elle s’est entretenue avec la ministre Sonia LeBel, la libérale Hélène David et la solidaire Christine Labrie.
Selon les données du ministère fédéral de la Justice, en 2014, seulement 5 pour cent des agressions sexuelles avaient été signalées au Canada. Ce chiffre a augmenté après le déferlement du mouvement #Metoo (#Moiaussi), qui a encouragé les femmes à dénoncer.
Statistique Canada a constaté qu’en 2017, le nombre de signalements avait bondi, surtout au Québec, où l’on a observé l’augmentation la plus importante, soit 61 pour cent.
Donner un plus grand rôle à la victime
«Il y en a des fois qui disent: « On est en train de revoir les droits des accusés ». Ce n’est pas ça du tout. Ça, c’est garanti dans notre droit constitutionnel», a ajouté Mme Hivon.
L’idée est de former les procureurs de la Couronne, les juges et les employés de la Cour pour qu’ils comprennent toutes les nuances des dossiers d’agressions sexuelles, a-t-elle expliqué. De plus, les victimes auraient accès à des services psychosociaux systématiquement, et partout dans la province.
Mme Hivon indique que l’objectif est de donner un plus grand rôle à la victime, pour qu’elle ne soit pas seulement «un objet pour mener à une condamnation».
Un tel tribunal n’existe pas au Canada. Mais il en existe un en Afrique du Sud et il y a aussi un projet pilote en Nouvelle-Zélande, a précisé Mme Hivon.
Un pas dans la bonne direction
Selon la professeure de droit à l’Université McGill Angela Campbell, un tribunal spécial — comparable à ce qui existe ailleurs au Canada pour les dossiers de violence conjugale — serait un moyen d’améliorer le système.
Les cas d’agression sexuelle contre les femmes demeurent élevés, mais dans un grand nombre de cas, les crimes ne sont pas signalés ou restent impunis, a-t-elle ajouté.
Selon Mme Campbell, un tel tribunal peut être mis sur pied par les provinces, étant donné que l’objectif n’est pas de modifier le Code criminel — qui est de compétence fédérale — mais de réformer la façon dont les lois sont appliquées au Québec.
«On veut que les juges qui comprennent le droit criminel comprennent aussi qu’une victime ne ment pas nécessairement parce que ça lui a pris dix ans à dénoncer», a-t-elle expliqué.
Dans les dossiers criminels, a-t-elle dit, le procureur de la Couronne prend le dessus et la victime présumée n’a aucun rôle autre que celui de témoin. Un tribunal permettrait d’ajouter des éléments de justice réparatrice dans la peine et de former des employés de la cour pour qu’ils informent les plaignantes sur les procédures du début à la fin.
«La valeur est d’avoir des employés spécialisés et des juges responsables de ces dossiers qui ont toute la formation nécessaire pour appliquer rigoureusement la justice criminelle, mais aussi qui ont une compréhension très nuancée et profonde des agressions sexuelles comme phénomène social», a indiqué Mme Campbell.
Au terme de leur rencontre, les députées n’ont annoncé rien de concret, mais elles ont fait état d’une «rencontre productive et non partisane».
«Je suis enthousiaste d’avoir accueilli mes collègues pour discuter de ces enjeux importants», a déclaré la ministre LeBel dans leur communiqué commun.
«Je compte travailler avec mes collègues et les nombreux intervenants qui marquent le parcours des victimes pour améliorer la situation.»