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Assumons-nous vraiment notre nordicité?

Ô Canada! Terre nordique. Les Canadiens, les Québécois et les Montréalais sont des experts du pelletage. Chacun a sa technique pour marcher sans (trop) glisser sur les trottoirs glacés. Et on danse même au grand froid dans des festivals d’hiver. Mais assumons-nous vraiment notre nordicité? Pistes de réflexion.

Square Dominion, 1887, Carnaval d’hiver de Montréal. Des milliers de visiteurs viennent admirer l’immense château de glace de 30 m de haut qui fait tant parler de Montréal à l’étranger. À cette époque, le Canada cherche à se développer. L’accueil de nouveaux arrivants est la solution. Mais voilà que les images hivernales du pays nuisent à l’immigration, au dire du gouvernement. Le Carnaval cesse ses activités en 1889, après sept années d’opérations.

Cent vingt-cinq ans plus tard, les Québécois semblent embrasser à nouveau l’hiver. La Fête des neiges a reçu un nombre monstre de visiteurs, le Village des neiges a poussé sur l’île Sainte-Hélène, l’Igloofest et Montréal en lumière sont plus courus que jamais et les sports d’hiver ont gagné en popularité depuis les Jeux de Vancouver – même si on joue encore plus au soccer qu’au hockey.

Malgré cette réappropriation certaine de l’hiver, les Québécois embrassent-ils leur nordicité pour autant? Ou renient-ils encore et toujours leur caractère nordique jusqu’à ce que les piscines publiques soient rouvertes? «Il faut faire une distinction entre l’hivernité et la nordicité», avance Daniel Chartier, directeur du Laboratoire international d’étude multidisciplinaire comparée des représentations du Nord de l’UQAM. Si les Québécois semblent accepter – peut-être à contrecœur – l’hiver, il en va peut-être autrement du Nord. «L’hiver, c’est ici, note M. Chartier. Le Nord, c’est toujours ailleurs, c’est dans l’imaginaire.»

Hivernité («le fait et le vécu d’une période froide et d’une certaine durée») et nordicité («état, degré, conscience et représentation d’une territorialité froide à l’intérieur de l’hémisphère boréal») sont deux néologismes créés par le géographe et linguiste québécois Louis-Édmond Hamelin dans les années 1960 pour nommer des concepts qui n’existaient pas nécessairement pour les Européens. «Par rapport aux années 1950, le sentiment d’habiter un pays froid a fait de grands progrès, indique à Métro
le père de la nordicité québécoise, aujourd’hui âgé de 88 ans. Beaucoup de progrès sont encore à réaliser; le Plan Nord en donne l’occasion.»

«L’hivernité est relativement bien acceptée, indique Jean Désy, auteur, entre autres, du recueil de textes sur la nordicité L’Esprit du Nord. Mais la nordicité, ce sentiment d’être du Nord, n’est pas vraiment assumée. Il y a des ouvertures, mais dans les faits, le Nord demeure une région à exploiter.»

Pour Mélanie Vincelette, auteure dont le dernier roman, Polynie, se déroule dans le Grand Nord québécois, il nous faut reconnaître notre impuissance devant notre nordicité. «Nous sommes ignorants par rapport à tout ça. On devrait tous pouvoir s’y rendre afin de comprendre qui on est, note celle qui s’est rendue à Ivujivik en décembre. Il faut faire en sorte que ce ne soit pas des fonds privés qui s’intéressent au Nord.»

Grandir avec l’hiver
Si nous cultivons une certaine ignorance par rapport à notre Grand Nord qui est, disons-le, loin de nous géographiquement, «l’hiver et le Nord ont toujours été représentés dans notre culture», avance Daniel Chartier. Des peintures de Cornelius Krieghoff jusqu’au Montréal -40 de Malajube.

L’auteur et comédien Alexis Martin présente d’ailleurs en ce moment sa pièce Invention du chauffage central en Nouvelle-France au Nouveau Théâtre Expérimental. «Personnellement, je trouve qu’on refuse notre nordicité, qu’on la nie», explique l’artiste. Un déni qui nous viendrait peut-être d’aussi loin que nos ancêtres : «Quand les Français sont arrivés ici, ce n’était qu’une étape, ils cherchaient la Chine, raconte M. Martin. On est restés pris ici!»

Bien que la représentation du Nord soit parfois liée à l’éblouissement, à la grandeur et à la beauté, c’est le thème de la mort et du suicide qui revient le plus souvent dans la base de données des œuvres liées au Nord, à l’Arctique et à l’hiver du Laboratoire piloté par Daniel Chartier. «L’hiver est difficile pour tout le monde, peu importe qu’on habite la Scandinavie ou Montréal», croit le professeur qui souligne au passage que Montréal demeure la grande ville du monde avec les températures moyennes les plus froides l’hiver – devant Moscou.

«La nordicité de Puvirnituq, dans la toundra, a peu de choses à voir avec la nordicité de l’Estrie, avance Jean Désy. Mais même au nord du Saint-Laurent, le monde est inséré dans la nordicité», croit-il. On n’a qu’à regarder la nature qui, même au sud du Québec, est «remarquablement habituée à l’état nordique». Après tout, la nature s’adapte au climat depuis des milliers d’années. Les Blancs, eux, n’y font face que depuis 400 ans. «On n’est pas adaptés, croit Julie Gagné, étudiante à la maîtrise à l’UQAM dont le mémoire porte sur la représentation du Nord dans le théâtre. On voudrait que tout fonctionne aussi bien que l’été.»

Le cinéaste et journaliste canadien Josh Freed, réalisateur de Life Below Zero, un documentaire qui cherche à comprendre pourquoi les Canadiens sem-blent fuir le froid, croit que «nous ne souhaitons pas vraiment embrasser l’hiver et que nous ne faisons que l’endurer». Pour Mélanie Vincelette, l’hiver, c’est comme une femme qui choisit d’avoir un autre enfant, malgré la douleur du premier accouchement. «Chaque fois, on se dit : peut-être que ça va être moins pire. Mais ça nous frappe toujours en pleine gueule.»

Une identité forgée par le froid

La neige, l’hiver, le nord, le froid. Tout cela a façonné l’identité des Québécois.

  • «On est un pays de défricheurs. Ça continue d’être ça aujourd’hui, note l’auteure Mélanie Vincelette. On est encore dans une période de Klondike.» Selon elle, le Québec est encore un lieu où tout est à faire, puisque l’exploration de notre territoire nordique a été compliquée à cause de l’hiver.

  • Les immigrants nous ont aidés à parler de notre nordicité, estime Daniel Chartier. «Pour eux, l’hiver est un moment marquant. Plusieurs vont compter la durée de leur séjour ici en nombre d’hivers.»

  • Pour Jean Désy, il faut trouver de nouveaux mots pour définir l’identité québécoise. «On sent que le mot « québécois » n’inclut pas les nordiques et les nordistes. Dès qu’on est dans le nord, c’est difficile de se dire Québécois.»

  • Alexis Martin croit que le froid a eu deux effets contraires. D’abord, d’isoler les gens, mais ensuite de renforcer l’esprit de communauté. «À cause du chauffage, il y avait beaucoup d’incendies. Donc, il fallait faire une corvée pour rebâtir très vite. Parce que sans abri, tu meurs.»


Montréal, ville nordique

Nous avons demandé à quelques personnalités de nous indiquer comment Montréal pourrait embrasser davantage son caractère nordique. Voici ce qu’elles nous ont dit :

Richard Bergeron chef de Projet Montréal

«Je propose une campagne internationale centrée sur l’hiver. Je veux qu’on assume et qu’on soit heureux de vivre dans la capitale mondiale de la neige et de la froidure et qu’on le dise haut et fort. On déteste ce qui devrait être une des caractéristiques les plus promues de Montréal. La ville a deux grandes caractéristiques : son statut francophone et son hiver. Si on enlève les deux, on devient un gros Milwaukee. Pester contre l’hiver, c’est en quelque sorte trahir Montréal.»  


Simon Brault président de Culture Montréal

«Montréal devrait miser davantage sur le design, l’architecture et l’aménagement urbain conçus en fonction de notre nordicité. La ville a tout ce qu’il faut pour innover, développer une signature unique et se créer une vitrine internationale dans ces domaines. Nous possédons déjà une ville souterraine que des événements comme Art Souterrain ré-enchantent. Occupons-nous de ce qui est au niveau du sol tout le long de l’hiver. N’acceptons plus que Montréal ne soit belle qu’en été!»


Nicolas Cournoyer directeur de l’Igloofest

«Un des nos objectifs, c’était que les Montréalais réapprivoisent l’hiver. Il semble que nous ayons réussi. Il faut pousser plus loin. Pour moi, ça passe par la bonification de l’offre. Il faut continuer de sortir les gens de leur zone de confort, de leur proposer des événements. Pour nous, ça veut peut-être dire ajouter un quatrième événement à notre festival. Il y aurait de la place pour une autre Nuit blanche, un concept hivernal des Journées de la culture ou un tournoi de hockey au Lac aux castors.»


Frédéric Metz designer

«Les architectes et les designers pensent-ils que nous vivons 365 jours par an à Miami? Où sont les sas chauffés entre les deux portes de nos restos et boutiques [une grille et un rideau d’air chauffé à qui fait fondre la neige et sèche les bottes]? La moppe et les tapis d’hiver sont la réponse aux entrées mal foutues et non fonctionnelles… Pourquoi les PDG n’acceptent-ils pas de troquer leurs cravates et talons aiguilles contre des vêtements de sport hyper performants?»

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