«On tolère les femmes en politique, on ne les accepte pas», dit Lise Payette
Plus de 30 après sa retraite de la vie politique, l’ancienne ministre péquiste Lise Payette n’en démord pas: les femmes ont encore du chemin à parcourir pour faire leur place en politique. Pour les aider, elle souhaite partager son expérience avec celles qui aspirent à la députation. Elle a lancé mercredi une réédition de son autobiographie Des femmes d’honneur.
Vous publiez une nouvelle version de votre autobiographie qui comprend désormais un chapitre de plus. Qu’est-ce qui vous a motivée à faire une telle mise à jour de votre livre?
D’un part, c’est beaucoup le fait d’avoir fait le documentaire Un peu plus haut, un peu plus loin. Ça a ramené toute la question de ce que j’ai vécu et de comment ça se situe par rapport à ce qui s’est passé au Québec pendant cette période.
J’ai aussi reçu des appels de gens qui dirigent des bibliothèques à Montréal et un peu partout au Québec pour me dire qu’ils voulaient mon livre. Il y a des listes d’attente dans les bibliothèques. Les gens viennent pour le prendre et il n’y en a pas. Quelqu’un m’a proposé de le rééditer. J’ai dit pourquoi pas? Il y a toute une génération qui n’a pas lu ce livre-là. Ça m’a permis de faire quelques mises à jour et de rajouter un chapitre de fin de vie. Que voulez-vous, j’aurai 83 ans bientôt. Évidemment, je ne suis pas éternelle et je le sais hélas…
Vous êtes aussi conséquente avec la devise, Je me souviens, que vous avez imposée sur les plaques d’immatriculation de nos voitures…
Absolument. Je crois qu’il est essentiel au Québec que les personnes qui avancent en âge transmettent l’information aux plus jeunes parce que l’histoire ne s’enseigne plus à l’école. Il faut leur dire d’où ils viennent et ce qu’on a fait avant eux pour leur laisser un mode d’emploi. Pas pour leur dire quoi faire. Pour leur dire qu’on a essayé cela et que ça n’a pas marché.
Vous avez fait partie du premier gouvernement du Parti québécois en 1976, celui qui a organisé le premier référendum sur la souveraineté du Québec. Est-ce que le gouvernement de Pauline Marois aurait eu avantage à revisiter l’histoire entourant le référendum de 1980?
Oui. C’est ce que ça donne comme résultat le fait qu’ils ne nous consultent pas beaucoup. De temps en temps, il y a ceux qu’on appelle les beaux-pères qui sortent sur la place publique qui disent qu’on a déjà essayé cela et que ça n’a pas marché. Ça me fatigue. Je n’aime pas jouer ce rôle-là. J’ai horreur de regarder dans le rétroviseur trop longtemps. J’ai toujours été quelqu’un qui regardait en avant plutôt qu’en arrière. Mais effectivement, sans le faire aussi publiquement, il y aurait moyen d’échanger sur des expériences que nous avons faites et qui n’ont rien donné. Il y a un espèce de silence qui s’est installé autour de l’indépendance du Québec alors qu’il aurait fallu continuer d’en parler. Peut-être qu’il est temps de revenir un peu en arrière.
D’autant que l’ancienne première ministre, Pauline Marois, a travaillé au sein de votre cabinet….
Oui. Elle était directrice de mon cabinet jusqu’à ce que je quitte la politique.
Vous avez fait seulement un mandat à l’Assemblée nationale. Avez-vous trouvé cela difficile, la vie politique?
Oui. C’est difficile la politique et c’était encore plus difficile à ce moment-là parce qu’il n’y avait pas beaucoup de femmes. Tous les partis réunis, nous étions cinq femmes sur les 105 députés à l’Assemblée nationale. La première fois que je suis entrée à l’Assemblée nationale et que tous les députés étaient présents, je suis partie à rire. Mes collègues m’ont demandé pourquoi ça me faisait rire. Je leur ai dit «regardez, il y a cinq femmes et 100 hommes». Ça n’avait pas de bon sens.
La nouvelle ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a évoqué l’idée d’imposer des quotas pour améliorer la représentativité des femmes à l’Assemblée nationale. Qu’en pensez-vous?
Ça été essayé dans d’autres pays. Les pays scandinaves ont été les premiers à faire cela. Je ne pense pas qu’ici, il y a un très grand attrait pour cela. Je pense plutôt que les femmes aimeraient arriver prêtes en politique et qu’on ne puisse pas les mettre de côté. Il va falloir toutefois que les partis politiques s’ouvrent. Il va falloir qu’ils permettent aux femmes d’être candidates dans des circonscriptions «prenables». Avec le Parti québécois, il y avait plein de femmes cette année. Pas n’importe quelles femmes. Des femmes avec beaucoup d’expérience. On leur a donné des circonscriptions dont tout le monde disait qu’elles n’étaient pas «prenables». Si vous envoyez une femme dans Westmount [pour le Parti québécois], oubliez cela. Il faut que ce soit pour le Parti libéral. Il y a plein de circonscriptions dont on sait en partant qu’elles ne sont pas prenables.
À la lecture de votre livre, on réalise que vous étiez avant-gardiste en politique, que vous faisiez des propositions pour l’avancement des femmes, malgré l’opposition de certains hommes…
Ce dont j’ai bénéficié, je crois, c’est que j’étais connue et appréciée. Je suis arrivée en politique avec une réputation déjà faite. Ça m’a permis de négocier avec mes collègues. La notoriété que j’avais, ils en avaient besoin. La négociation se faisait comme cela: appuyez-moi sur ce dossier et je vais vous appuyer sur tel dossier. La négociation se fait au quotidien en politique. Tant et aussi longtemps que j’ai eu de la crédibilité, j’ai pu faire passer beaucoup de choses. Dès qu’il y eu l’affaire des Yvette [NDLR: Pendant la campagne référendaire de 1980, Lise Payette a comparé la femme du chef du Parti libéral, Claude Ryan, à la petite Yvette des manuels scolaires qui était décrite comme étant sage et obligeante], j’ai été condamnée et je n’avais plus rien à négocier avec mes collègues. Et ils me l’ont dit.
Plus de 30 ans plus tard, que retenez-vous de l’affaire des Yvette?
C’est un accident de parcours. J’avais un peu dépassé ma pensée en parlant de Mme Ryan que je ne connaissais ni d’Eve, ni d’Adam. Je ne l’avais jamais rencontrée. C’était dans un discours improvisé. Un moment donné, il y a eu un trou. J’ai fait une erreur. Je m’en suis excusée dès le lendemain. Autant on peut pardonner n’importe quoi à d’autres, pas à moi…
Encore là, c’est une source d’apprentissage pour les femmes qui veulent se lancer en politique…
Absolument. Le jugement n’est pas le même pour les hommes politiques que pour les femmes politiques.
Un des plus beaux exemples est sans doute Pauline Marois. Depuis les dernières semaines, on souligne à gros traits que le Parti québécois, avec une femme à sa tête, a essuyé sa pire défaite de son histoire.
Exact. Il y encore beaucoup de misogynie. On tolère les femmes en politique, on ne les accepte pas. En public, les hommes vont vous ouvrir les bras et dire qu’ils vous aiment. Mais ils s’en foutent complètement, à quelques exceptions près. Règle général: ils se soucient des femmes après 19h.
J’ai mon pied dans la porte pour les femmes et je ne la laisserai pas se refermer. J’ai enseigné cela aux autres femmes. Avant que je quitte la politique, j’avais préparé deux femmes pour la politique: Huguette Lachapelle, qui a été élue dans la circonscription de Dorion après moi, et Pauline Marois, qui était la directrice de mon cabinet. J’ai dit au [premier ministre] René Lévesque que Pauline Marois était prête pour être ministre s’il en avait besoin. Il est important que les femmes n’agissent pas comme les hommes, elles ne doivent pas penser que si elles s’en vont, il n’y aura plus personne pour prendre leur place. Il faut au contraire laisser des héritières.
Quelques semaines après la défaite du Parti québécois, quel conseil donneriez-vous à Pauline Marois, dont la carrière politique a pris fin abruptement?
Pauline a donné tout ce qu’elle pouvait donner je crois. Avec une immense dignité. Je suis encore impressionnée par cette femme. Elle a tenu pendant 35 ans. Elle a vécu des moments extrêmement difficiles. On a essayé de lui couper la tête. On a essayé de lui pousser dans le dos pour qu’elle parte. Il n’y a rien qu’on ne lui a pas fait. Elle a été excellente dans les dossiers qu’elle a traités. C’est la première politicienne qui est arrivée aussi préparée en politique. On lui doit un immense merci pour son comportement et sa dignité. Elle a 65 ans. Elle a des enfants qu’elle n’a pas vus aussi souvent qu’elle l’aurait souhaité et elle a maintenant des petits-enfants. Je lui souhaite de vivre heureuse à partir de maintenant.
Est-ce qu’il y a des femmes politiques que vous surveillez présentement?
Oui. Véronique Hivon. Elle m’a impressionnée par son comportement en chambre. Je trouve qu’elle est remarquable de patience et de calme.
Des femmes d’honneur
Éditions Québec Amérique
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