Soutenez

Commission Charbonneau: la mafia dans la construction en Italie

Photo: Ryan Remiorz/La Presse canadienne

MONTRÉAL – Devant la Commission Charbonneau, mardi, une experte du phénomène de la mafia italienne a expliqué comment la mafia s’y était prise pour infiltrer le milieu de la construction dans ce pays.

Les procédés sont nombreux, a témoigné Valentina Tenti, une chercheuse qui a un doctorat en criminologie et qui s’est intéressée à ces questions. Elle a parlé d’extorsion, d’intimidation et violence, de corruption, de collusion, mais aussi de paiement de «pizzo», d’obligation d’acheter tant de matériaux de telle compagnie et au prix demandé, d’obligation d’embaucher tel individu, de fausse facturation, d’utilisation de matériaux de moindre qualité, d’ententes de cartels pour se partager les contrats, de stratagèmes frauduleux divers.

Certaines entreprises sont carrément détenues par la mafia, alors que d’autres sont tenues de faire affaires avec ces entreprises exploitées par la mafia, a-t-elle rapporté.

En Italie, la mafia a contrôlé ce qu’elle a décrit comme «les trois piliers» de l’industrie de la construction, à savoir les matières premières, comme le béton, la main-d’oeuvre et le financement.

Par le monopole du béton que la mafia a créé, par exemple, elle a réussi à contrôler les prix, les ventes, les commandes et les contrats, a relaté la chercheuse italienne, qui collabore au Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal.

Mme Tenti a cité le défunt juge Giovanni Falcone, voué à la lutte contre la mafia en Italie, et qui a été assassiné en 1992. «Ils ont été capables d’entrer dans l’industrie par implication directe. Giovanni Falcone, quand il parlait de la Cosa Nostra, a dit qu’à une certaine époque, la Cosa Nostra contrôlait complètement l’industrie de la construction, soit avec des entreprises détenues par ses membres, soit par des entreprises sous le contrôle de la Cosa Nostra», a-t-elle relaté.

Elle a énuméré différents stratagèmes frauduleux utilisés dans la construction: facturer pour 50 kilos de matériel, mais n’en installer que 25; installer un matériau de moindre qualité dans les couches profondes mais une couche de qualité qui correspond aux normes en surface, au cas où un ouvrage serait inspecté.

Mme Tenti a bien affirmé que la mafia à elle seule ne pouvait agir et avait besoin de «facilitateurs», tant au sein des autorités publiques qu’au sein des entreprises privées. Il y a entre les parties «échanges de services», a-t-elle rapporté, par exemple un «échange de votes» pour des contrats avec des représentants politiques.

Fonctionnement de la mafia

Avant d’en venir à l’implication de la mafia dans l’industrie de la construction, en fin de journée, Mme Tenti a longuement expliqué comment fonctionnent trois des groupes traditionnels du crime organisé, à savoir la Cosa Nostra (sicilienne), la Camorra (napolitaine) et la Ndrangheta (calabraise).

Prestation de serment, Dix commandements, code d’honneur, rites d’affiliation, les hommes d’honneur et les «autres» hommes, le phénomène a été exposé dans le détail.

Pour illustrer l’importance acquise par la Cosa Nostra dans l’industrie de la construction du secteur public, dans les années 1950 en Italie, elle a rapporté qu’à l’époque, une enquête avait démontré que des 4000 permis de construction émis par les municipalités de la région de Palerme, 2500 l’avaient été à trois personnes. Et ces personnes n’avaient pas de compétence dans l’industrie de la construction, servant en fait de prête-nom.

En 2007, une étude a permis de démontrer que la Cosa Nostra avait réussi à recueillir 160 millions d’euros en «pizzo», ces contributions qui doivent être versées par les commerçants sur le territoire «protégé».

Dans certaines régions, 70, voire 80 pour cent des commerçants vont verser leur pizzo à la Cosa Nostra. Et parfois eux-mêmes banalisent cette contribution, affirmant qu’ils ont moins de problème à la verser et à obtenir des «services» qu’à refuser de la verser et à en payer le prix, a rapporté Mme Tenti.

À ses yeux, pour la mafia, le pouvoir est plus important que l’argent.

Elle a décrit la Cosa Nostra comme ayant une grande capacité d’adaptation, qui s’infiltre souvent en offrant des services comme de la protection ou du financement à des entreprises qui en ont besoin, notamment en période de crise financière. Elle peut devenir une solution de rechange aux banques pour certaines entreprises en difficulté.

La Ndrangheta, moins connue et moins visible que la Cosa Nostra, n’en est pas moins influente, a-t-elle témoigné.

Elle a cité une étude faisant état de revenus de 44 milliards d’euros générés par diverses activités criminelles, principalement le commerce de la drogue, provenant notamment d’Amérique latine, dont la Colombie. «C’est presque 2,9 pour cent du produit intérieur brut de l’Italie», a affirmé Mme Tenti.

Son étude d’une centaine de pages, déposée devant la Commission Charbonneau, affirme que l’industrie de la construction a été ciblée par la mafia parce qu’elle est plus facile à infiltrer pour différentes raisons. D’abord, les opportunités de collusion et de corruption y sont plus grandes, puisque plusieurs acteurs y sont engagés: entrepreneurs, professionnels, fonctionnaires, hommes politiques.

De plus, «les firmes se font concurrence dans un marché local et les barrières pour y entrer sont relativement basses», écrit-elle.

Elle ajoute que dans cette industrie, il est plus facile de conclure des ententes secrètes pour se partager les contrats.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.