Des mouches à fruits pour empêcher la propagation du cancer
Un chercheur de l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie (IRIC) de l’Université de Montréal aurait trouvé une protéine qui pourrait bloquer la migration de cellules cancéreuses dans le corps. Tout ça, en étudiant des mouches à fruits.
Gregory Emery, professeur agrégé du département de pathologie et de biologie cellulaire à l’UdeM, s’intéresse à la migration collective des cellules cancéreuses qui créent des métastases, comme dans le cas de cancers de la peau ou du poumon.
«Les principales causes de mortalité associées aux tumeurs sont les métastases, des cancers secondaires qui se forment dans des tissus loin de la tumeur principale», explique-t-il.
L’équipe du Dr Emery a notamment trouvé une kinase prometteuse liée à la coordination des cellules pour empêcher le déplacement des cellules cancéreuses. Cette protéine (ou enzyme) se trouve autant chez la mouche à fruits (drosophile) que chez l’humain. «L’enzyme semble être conservée chez les mammifères et modifiera d’autres protéines», affirme le professeur.
Cette découverte génétique pourrait éventuellement permettre de développer des médicaments qui influenceraient uniquement les cellules métastasiques.
«Certaines cellules doivent être actives et d’autres inactives pour avancer, souligne le chercheur de l’IRIC. Si chaque cellule tire de son côté, le groupe ne pourra pas s’éloigner de la tumeur d’origine. En comprenant ce mécanisme, on pourra bloquer la progression de métastases.»
Les mouches à fruits
L’humain partage plusieurs gènes avec les drosophiles. Ces insectes sont donc idéaux pour l’étude du cancer, en plus d’être moins compliqués et dispendieux que les souris.
«Une génération de mouches à fruits vit une dizaine de jours, indique Benoit St-Jacques, directeur de la coordination de la recherche de l’IRIC. Les souris ont une vingtaine de jours de gestation et peuvent se reproduire six semaines plus tard.»
Une mouche à fruits permet également d’observer la migration des cellules de bordure pendant qu’elle est en vie en les filmant en stop motion, affirme Gregory Emery. Le chercheur étudie la progression des cellules dans les chambres d’œufs de mouches, qui font partie de l’ovule, processus qui ressemble à ce qui se passe dans une métastase.
La migration invasive de groupe de cellules cancéreuses qui entrent dans un tissu et l’envahit est le même genre de «migration dirigée par des signaux de molécules qui attirent les cellules pour qu’elles s’installent en un lieu précis», selon M. Emery.
Avec la mouche à fruits, on peut suivre les déplacements à partir du tissu d’origine pendant qu’ils ont lieu, mais pas chez la souris ou l’humain, précise Benoit St-Jacques.
Outils sophistiqués
Il est possible de modifier génétiquement les cellules et l’environnement pour manipuler l’expression de protéines ou remplacer des gènes ayant subi des mutations en raison de cancers, ajoute M. Emery.
L’équipe se sert de l’imagerie en fluorescence confocale pour regarder des échantillons sous microscope dans leur environnement naturel (in vivo) en temps réel, ce qui permet d’observer la progression et le mouvement des groupes cellulaires dans la drosophile.
Des biosenseurs peuvent révéler quelle protéine est active, où et quand.
Les chercheurs peuvent aussi contrôler la direction du déplacement d’une cellule grâce à l’optogénétique, qui utilise une lumière laser dans une région précise de la cellule pour modifier l’activité de certaines protéines, rapporte M. Emery.
Prochaines étapes
Avec des tests concluants chez les drosophiles, le Dr Emery devra maintenant tester ses trouvailles sur des cellules métastasiques humaines et éventuellement, en injectant ces cellules humaines à des souris.
Or, les cellules humaines sont étudiées en culture, mais puisqu’elles ne sont pas dans leur environnement d’origine, elles migrent différemment, indique M. Emery.
Donc en alternant les cellules humaines en culture avec celles des drosophiles in vivo, on obtient le meilleur des deux mondes. «Dès qu’on trouve quelque chose chez la drosophile, on tente de voir si le même mécanisme est conservé chez les mammifères», dit-il.
Par ailleurs, puisque le gène (kinase) découvert est aussi important dans la formation des vaisseaux sanguins, il faudra évaluer s’il y a un vrai bénéfice pour le patient ou si les effets secondaires trop problématiques.
Il y a donc loin de la coupe aux lèvres avant de découvrir un éventuel médicament.