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Stéphane Dion l’improbable policitien

Foreign Affairs Minister Stephane Dion answers a question during question period in the House of Commons on Parliament Hill in Ottawa on Tuesday, Dec.13, 2016. THE CANADIAN PRESS/Adrian Wyld Photo: Archives Métro

Campagne référendaire de 1995. Ça joue dur, notamment sur les ondes télé. Un jeune prof de science politique de l’Université de Montréal, jusqu’alors inconnu du public, se fait remarquer pour le camp du NON. Hein? Un intello (très) fédéraliste qui s’affiche publiquement? Un trudeauiste qui se manifeste hors de son salon? Denrée rare, voire quasi-inexistante. 

Mais voilà la nature de la bête: Dion est un atypique. En tout genre. Et en tout temps.

Nommé ministre des Affaires intergouvernementales par Jean Chrétien, le prof ne perd pas de temps avant de laisser sa marque, et se faire haïr par une partie appréciable du Québec francophone: idéateur du Plan B, il amène la Cour suprême à se prononcer sur le controversé Renvoi sur la sécession, lequel sera suivi, peu après, de l’antéchrist: la Loi sur la clarté référendaire.

Systématiquement caricaturé en rat par Chapleau de La Presse, les quolibets et insultes pures ne manquent pas. L’ancien premier ministre Landry va même jusqu’à le qualifier de «politicien le plus détesté de l’histoire du Québec».

Certains journalistes m’ont déjà confié, en privé, l’attendre, en tout temps, avec une brique et un fanal. Parce que, il est vrai, Dion est pour le moins cassant. Condescendant, aussi. Il adore le débat, certes, mais en autant qu’on soit d’accord avec lui. Ce qui arrive rarement. Surtout lorsqu’il remet en question la règle, sacrée pour plusieurs, du 50% + 1. 

En cette ère de politique-spectacle, où l’image est reine, Dion fait, encore une fois, chambre à part. Il refuse, systématiquement, de participer à quelconques émissions de nature plus légère. Celles-ci, disait-il, déshonorent la classe politique. À certains membres de son personnel politique qui l’imploraient d’être «naturel», Dion avait l’habitude de répliquer: «Mais je suis d’un naturel crispé !». Voilà.

Petite anecdote m’impliquant: Mélanie Joly, alors ma collègue à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, me demande s’il m’est possible de lui arranger une entrevue avec le ministre, moi qui œuvre alors comme étudiant au Conseil privé. Je finis par organiser un truc, de peine et de misère.

Joly débarque, avec deux trucs, soit sa candeur habituelle et, surprise, un sombrero mexicain. Elle demande alors à Dion de porter ce dernier et d’adresser, dans le cadre du Carnaval de la Faculté, un petit mot aux étudiants de celles-ci. Visiblement courroucé, il refuse. Joly insiste. NON, NON et NON, de répliquer sèchement le ministre. PAS QUESTION.

La future ministre du Patrimoine, secouée, se tourne alors vers moi afin que je puisse le convaincre, comme si ceci était chose possible. Connaissant la bête, je lui propose plutôt de dire un mot à la caméra, sans sombrero. Contre toutes attentes, il accepte (après, vous direz que je suis nul en diplomatie). Son message aux étudiants? Ceci: «Je vous interdis d’avoir des D! Seulement des A!». Pour l’esprit carnavalesque, on repassera.

Une autre anecdote? D’accord. À la table-ronde portant sur mon bouquin Droit à l’indépendance, co-écrit avec l’ami Stéphane Beaulac, le prochain ministre des Affaires étrangères se pointe et s’assoit dans la salle. Pendant notre allocution, il est, selon toute vraisemblance, parfaitement contrarié. Un geste désapprobateur n’attend pas l’autre. Bon. Je finis par l’interpeller en lui demandant ce qui l’irrite à ce point. Erreur. S’ensuit une longue diatribe sur le fait que je viens de condamner l’attitude intransigeante (tiens tiens) de Madrid face à la Catalogne: «C’est stupide, de dire des choses semblables!». D’accord, Stéphane.

À un étudiant qui nous pose ensuite une question sur le Kosovo, Dion bondit de son siège et s’écrit «je vais vous répondre, moi!», pointant son index à deux pouces du visage de l’étudiant en question.

Une courte discussion après-coup nous permet de découvrir le pot-aux-roses. Ce qui irrite Dion, essentiellement, se résume à ceci: notre bouquin ne le cite pratiquement pas et, surtout, nous avions eu l’outrecuidance de qualifier une partie de sa Loi sur la clarté «d’inique et loufoque». Orgueilleux va!

Une autre caractéristique pratiquement hors normes? La ténacité ou l’opiniâtreté, c’est selon. Écarté du cabinet de Paul Martin, Dion refuse de quitter la vie politique. Au grand désarroi de l’entourage du premier ministre, lequel souhaitait l’évincer de son comté afin de faire une place à Pablo Rodriguez, ami de la nouvelle gang. Rien à faire. Je RESTE, tonne l’ex-ministre déchu (et déçu).

Il finit éventuellement à réintégrer le conseil des ministres, notamment à l’Environnement, où il fait flèche de tout bois. Il surprend ensuite tous et chacun en devenant, qui l’eut crût, chef du Parti libéral du Canada. Certains, dont Michael Ignatieff et Bob Rae, en font encore de l’insomnie.

Après être passé tout près de renverser le gouvernement minoritaire d’Harper, une vidéo pour le moins amateur (https://www.youtube.com/watch?v=jNUo9JXtvC4) l’empêche de déménager au 24 Sussex et amène plus tard son parti à le destituer. Pas très PR, disions-nous.

Hier, Stéphane Dion a été dégommé du prestigieux poste de ministre des Affaires étrangères. Pas trop une surprise, à mon avis. Dion comme… chef de la diplomatie canadienne? Voilà qui ressemblait drôlement à un contre-emploi. Même l’atypisme a ses limites, apparemment.

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