Le plan A
On espère tous que, le jour où on tombera malade, la médecine nous viendra en aide, allégera notre souffrance, nous guérira. Mais ce qu’on espère vraiment, c’est de ne pas tomber malade en premier lieu. La prévention est la réponse évidente à ce souhait que nous partageons tous, mais on la méprise parce qu’elle ne «flashe» pas comme la médecine. L’occasion de faire de la prévention se présente en tout temps; elle est en quelque sorte partout, donc invisible. Mais si puissante.
«Les objectifs sont atteints»: c’est le bilan que dresse le ministre Barrette de sa réforme de la santé. La loi 10 est entrée en vigueur il y a un an, deux budgets du gouvernement Couillard ont été adoptés, mais on ne voit aucun signe que nos dirigeants aient compris que le véritable contrôle des coûts du système de santé se situe en bonne partie dans un engagement résolu en faveur de la santé publique. On aura beau restructurer le système de soins à chaque fois qu’un nouveau ministre voudra le mettre à sa main, on fera toujours fausse route tant qu’on ne reconnaîtra pas que la santé est notre véritable objectif, et que la guérison est le «plan B».
La fameuse expression «médecine à deux vitesses», qu’on a commencé à employer lorsque le privé a pris du galon dans la livraison des services, devrait en fait désigner cet écart énorme qui existe entre ceux qui naissent et vivent dans des conditions qui les protègent contre certaines maladies évitables et ceux qui naissent dans des conditions qui favorisent l’apparition de maladies. Cette injustice est pourtant le lot de tous ceux qui survivent dans de piètres conditions matérielles et psychosociales.
Mais la santé publique n’est pas uniquement une affaire d’inégalités. Elle concerne tout le monde, car nous sommes tous susceptibles de contracter une maladie évitable.
Agir sur le plan de la santé publique, ça veut dire agir sur un large éventail de missions sociales: l’accès universel à un transport public de qualité, une diminution radicale de la pauvreté et de l’exclusion sociale, une lutte acharnée pour améliorer la qualité de l’environnement, une offre de services universels à la petite enfance, une stratégie large pour répondre à l’explosion de la détresse mentale d’origine médicale ou sociale. Tous ces domaines sont des leviers puissants pour agir sur l’incidence de maladies qui coûtent cher à guérir. La prévention n’est pas, faut-il encore le rappeler, une dépense, mais un investissement à long terme.
Même si elle vise à aider les individus, on trouve une logique de «l’agir collectif» au fondement de la santé publique. La prévention exige d’adopter une vision globale, elle oblige à voir tous les liens qui existent entre notre santé et les conditions sociales, matérielles et environnementales dans lesquelles nous évoluons. Les prescriptions de l’importante production scientifique en santé publique forceraient plusieurs ministères à agir ensemble, de façon concertée. Elles obligeraient les ministres à ne pas être des super-héros (ou vilains), mais des serviteurs du bien commun.
Quand viendra le temps de mesurer les effets de la «réforme Barrette», il sera opportun de rappeler que ce que nous voulons d’abord, c’est ne pas être malade.