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Eugenie s’en fout de ce que tu penses d’elle

Photo: Capture d'écran/YouTube

Le chroniqueur du Devoir Louis Cornellier a consacré l’essentiel de sa critique de l’essai Eugenie Bouchard : le rêve, à nous expliquer les raisons pour lesquelles il était si difficile d’aimer la 42e raquette mondiale. En gros : elle n’est pas «aimable», elle n’est pas «attachée au Québec», ses parents trippent sur la monarchie, elle n’aime pas l’hiver, appuie Uber et considère la Floride comme sa maison. Détestable.

On pourrait aussi ajouter comme raison probable qu’elle est une femme évoluant dans un sport qui continue d’être parmi les plus misogynes*. Eugenie Bouchard n’est pas la seule joueuse de tennis à se faire reprocher de ne pas être assez agréable ou plaisante. Marion Bartoli est boudée parce qu’elle est jugée «dégoûtante», on compare Serena Williams à un singe ou à un cheval, selon ses inclinaisons racistes ou sexistes, et on en a que pour les cris de Maria Sharapova, jugés indécents ou désagréables car trop aigus. Pendant ce temps, on dit de Rafaël Nadal et Roger Federer qu’ils sont «timides», l’arrogance de Novak Djokivic passe pour de l’humour, et on s’émeut lorsque Milos Raonic parle français.

Difficile aussi pour une femme d’être appréciée pour ses compétences. On pourrait en discuter longuement en se penchant sur le domaine de la politique, où plus une femme est qualifiée, moins elle semble être appréciée – Allo Hillary Clinton! Les femmes d’affaires qui ont du succès sont généralement moins appréciées et celles qui ont trop de pouvoir constitueraient une menace à la virilité des hommes. Dans le cas d’Eugenie Bouchard, cette pénalité à la compétence s’est observée – de manière pas du tout scientifique – lorsque le Sac de chips a voulu la comparer à sa jumelle. À la question «Laquelle des jumelles Bouchard préférez-vous?», 63% des répondants ont opté pour Béatrice, celle des deux… dont on ne connaît pas les compétences!

Notre jugement des compétences d’un individu semble soluble dans le genre. À la suite de ses victoires, on a demandé à Eugenie de faire une pirouette pour montrer sa jupe, ou encore quelle personnalité elle rêvait de fréquenter. On lui a demandé de commenter la querelle entre Taylor Swift et Kim Kardshian, question à laquelle elle a répondu le plus sérieusement du monde, comme pour narguer les journalistes une fois de plus, en prétendant être une experte du divertissement. Mercredi soir, l’analyste commentant son match à TVA Sports a affirmé qu’elle devait continuer de sourire si elle voulait gagner, comme s’il s’agissait d’une stratégie valable.

Mais bien sûr, Eugenie Bouchard ne dérange pas strictement que parce qu’elle est une femme. Elle dérange parce qu’elle est une femme qui se fout de notre opinion. Réjean Tremblay l’a traitée de «petite baveuse» – en prenant bien soin pour aucune raison valide d’évoquer ses sous-vêtements – parce qu’elle refusait d’accorder des entrevues à des médias. Faut-il rappeler qu’elle ne doit rien à personne et que si elle désire se concentrer sur son jeu ou même sur son compte Instagram, cela ne relève que de ses prérogatives?

Dans une lettre d’un paternalisme sans nom, une femme d’affaires a suggéré à Eugenie Bouchard de modifier ses comportements pour être moins arrogante. Elle lui a donné comme modèle le sympathique PK Subban. Quid de tous les autres joueurs de hockey qui ont l’air bête à longueur d’année sans qu’on en fasse de cas?

Eugenie dérange parce qu’on voudrait pouvoir posséder au moins une toute petite partie d’elle : après tout, elle est Québécoise, elle devrait nous revenir de droit, non? Son succès ne devrait-il pas rejaillir sur nous? On voudrait qu’elle nous aime. Dans les gradins, des fans la demandent carrément en mariage. Eugenie gosse parce qu’elle s’en fout, ce qui la rend inaccessible. Elle voit plus grand. Son terrain de jeu est le monde. Elle vise Wimbledon, Roland Garros, Flushing Meadows, et peut-être avec un peu d’efforts le parc Jarry. Elle n’appartient à personne d’autre qu’elle-même et ses commanditaires. Avec son arrogance et sa désinvolture, elle fait sûrement revivre à plusieurs de ses détracteurs la blessure d’avoir été rejetés par la belle fille de l’école. Mais Eugenie Bouchard n’est pas là pour qu’on l’aime. Et c’est exactement pourquoi je l’adore.

 

* Mise à jour: Jeudi dernier, j’écrivais que le tennis continuait d’être parmi les sports les plus misogynes. Ce n’est pas tout à fait juste. Tous les sports continuent d’être teintés de misogynie, et si ça se trouve, le tennis est parmi les moins pires.

 

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