Le culte de la résilience
On vit tous nos petites difficultés dans la vie. La Clique du plateau a réuni, dans une percutante vidéo de 50 secondes, tous les grands malheurs vécus par les participants à la sirupeuse émission La Voix. «Je suis un enfant de la DPJ.» «J’ai vécu une passe d’anorexie.» «J’ai été intimidé à l’école.» «On a passé à travers un cancer du sein.» «Mes grands-parents sont morts.»
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La liste est impressionnante et la redondance a pour effet de faire basculer les drames de tout un chacun dans l’univers comique. J’ai fait le test : impossible de ne pas rire au bout de 35 secondes, aussi grave soit le taxage pour ceux qui en sont victimes.
On en vient aussi à croire que les recherchistes de l’émission ont travaillé fort, dans certains cas, pour aller chercher l’égratignure chez chacun des candidats à La Voix. Cette écorchure qui nous arrachera des larmes, qui transformera à l’écran une simple performance scénique en l’accomplissement-de-toute-une-vie-de-misère.
Si on se donne tant de mal pour trouver la faille, c’est que la recette fonctionne. Participer à un concours de chant, c’est relativement banal. Participer à un concours de chant après avoir subi un triple pontage, c’est un miracle. Ça s’appelle de la résilience. Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik a fait son pain et son beurre de ce concept qui explique pourquoi certains êtres humains réussissent à triompher malgré l’adversité. En fait, non seulement l’individu résilient s’en sort malgré ses traumatismes, mais il s’appuie sur ceux-ci pour s’élever davantage.
Et ça, tout le monde veut ça. Tout le monde veut pouvoir se dire qu’il a un avenir incroyable même s’il a grandi dans un milieu défavorisé. Et pour celui qui a grandi dans un milieu tout ce qu’il y a de plus normal, ne reste plus qu’à trouver la faille qui donnera l’impression que le succès n’est pas arrivé seul, mais au terme de tellement d’efforts.
Malheureusement, n’est pas résilient qui veut. Pour une Marie-Mai qui tire son énergie de l’intimidation vécue dans l’enfance, combien de Stéphane de Normétal croulent sous le poids des embûches? Bien sûr, on préférera toujours prendre exemple sur les résilients. Ceux qui s’apitoient sur leur sort ne nous intéressent pas. Et avec raison. Et parfois, parmi les résilients, on choisira Oscar Pistorius comme modèle. Quoi de mieux comme modèle de persévérance qu’un amputé des deux genoux? C’est là qu’on réalisera que la résilience, ce n’est pas tout.
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.