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Des problèmes de riches?

Il semble de bon ton, ces jours-ci, de snober certains débats, jugés pas assez nobles pour être abordés dans la sphère publique. Ce phénomène trouve sa principale incarnation dans une surutilisation sur les réseaux sociaux du mot-clic #1stworldproblem, ou, en français, #problèmederiche.

À l’origine, l’expression «problème de riche» visait à souligner la tendance, voire l’indécence, qu’ont les privilégiés de ce monde de se plaindre de bagatelles en l’absence de véritables problèmes. Par exemple : «Mes parents peuvent-ils me foutre la paix avec leurs maudits cours d’équitation. #problèmederiche» Ou encore : «J’en ai plein mon cas’ des maudites sans-abri devant la SAQ qui m’empêchent d’acheter mon shiraz en paix».

Si elle a le mérite de nous mettre face à l’absurdité occasionnelle de nos complaintes, en les opposant avec les problèmes, plus graves, des pays en voie de développement, cette expression a le malheur de nous inciter à comparer des situations qui ne se comparent pas et à hiérarchiser les enjeux de façon arbitraire dans une perspective manichéenne. Autrement dit : ce n’est pas parce que des enfants meurent en Afrique dans l’anonymat le plus triste ou que le gouvernement russe complote avec la Syrie qu’il est incongru d’aborder des questions autrement pertinentes au Québec.

Nos enquêtes sur la corruption sont-elles moins importantes parce qu’en Amérique latine, c’est ben pire? Devrions-nous fermer les yeux devant l’homophobie latente en nous réjouissant de ne pas être nés en Russie? Faudrait-il éviter de remettre en question les rôles que la société nous assigne en fonction de notre sexe sous prétexte qu’en Arabie saoudite, les femmes n’ont pas le droit de conduire une voiture? Faut-il invalider tous ces débats en se répétant qu’on se plaint le ventre plein?

Je suis, individuellement, privilégiée d’exercer un métier qui me passionne et me permet de me réaliser. Contrairement à moi, un ouvrier d’usine qui effectue son boulot dans le simple but de nourrir ses enfants se contrefout peut-être de se réaliser ou pas dans son travail, luxe que moi, j’ai. Si on applique cette analyse maslowienne – comme dans «pyramide de Maslow» – à la société, on comprendra qu’en effet, le Québec assure en général assez bien la sécurité de ses citoyens et qu’il n’y a pas péril en la demeure.

Le Québec a le luxe de discuter d’alimentation bio, de survie du français ou de dépendance au pétrole, des enjeux qui, en effet, pourraient paraître hautement superflus dans d’autres circonstances. Il se peut, aussi, qu’en période d’information creuse, nos journaux consacrent quelques textes à l’entraînement spartiate, ou trop de visibilité au coefficient de dangerosité du python de Seba.

Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

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