Soutenez

Moral’alcool

Photo: Radio-Canada

Une mini controverse s’abat présentement sur le domaine de la télévision. Depuis le passage d’Éric Salvail à Tout le monde en parle dimanche dernier, où la vedette s’est prêtée à un exercice d’ingestion rapide d’alcool – trois shooters, faut pas virer fou quand même – Éduc’alcool joue les vierges offensées sur toutes les tribunes. L’organisme fait ainsi la morale à certaines vedettes qui seraient de mauvais exemples en matière de consommation. Pourtant, rien n’indique que l’organisme a la crédibilité requise pour le faire.

Il y a certainement moyen de critiquer la présence d’alcool à la télévision. Il a été démontré à maintes reprises que de voir des gens consommer de l’alcool dans les médias avait une influence sur la consommation d’alcool des spectateurs. Et malgré toutes les précautions qui sont prises pour souligner que les participants aux Recettes pompettes d’Éric Salvail rentrent chez eux en taxi, il n’est pas faux de dire que ce genre d’émissions valorise la consommation excessive d’alcool.

À mon avis, il y a pire, qu’il s’agisse de l’alcool qui coule à flots dans une émission festive comme Sur invitation seulement, sans jamais qu’on en perçoive les conséquences négatives, ou qu’elle soit utilisée comme facilitatrice de rapprochements dans des émissions de téléréalité où elle agit parfois comme commanditaire.

En pointant du doigt une cible facile et évidente comme les Recettes pompettes, Éduc’alcool vous laisse penser qu’elle est la gardienne de la morale en matière de consommation responsable d’alcool. Or, c’est loin d’être le cas.

Depuis 2012, l’organisme – financé, doit-on le rappeler, par l’industrie de l’alcool – nous rabâche les oreilles avec sa formule 2-3-4-0, selon laquelle une femme a droit à deux consommations par jour, un homme à trois, chacun à trois et à quatre consommations à l’occasion, le zéro représentant l’abstinence recommandée une fois par semaine. Pour de jeunes travailleurs ou des étudiants à l’université, ce truc mnémotechnique peut paraître rabat-joie, mais pour l’ensemble de la population, il s’agit d’une consommation d’alcool pas si raisonnable que ça.

Dans une lettre adressée au Devoir en 2013, un homme de 77 ans disant vouloir se débarrasser de sa vilaine habitude affirmait se sentir encouragé par les publicités : «C’est en voulant me libérer de cette dépendance de boire ma quinzaine de consommations par semaine que j’ai réalisé comment la publicité d’Éduc’alcool ne faisait que me justifier dans cette néfaste habitude en me répétant que boire une couple de consommations par jour était boire “avec modération”», écrivait-il.

Justement, sur le site d’Éduc’alcool, on peut lire que cette offensive publicitaire vise «l’implantation d’une nouvelle norme sociale». Peut-on vraiment, comme société, faire confiance à un organisme dont plusieurs membres du CA sont aussi parties prenantes de l’industrie de l’alcool pour implanter une «nouvelle norme sociale»?

Au Québec, la loi interdit les producteurs de produits alcoolisés de faire la promotion de l’alcool dans toutes sortes de contextes, et notamment, de présenter l’alcool comme «élément nécessaire à la participation d’une personne à des activités», sauf, et c’est là que ça devient très pratique pour les producteurs derrière Éduc’alcool, dans «une publicité qui vise à promouvoir l’abstinence ou la modération dans la consommation de boissons alcooliques». Or, quand on regarde certaines publicités d’Éduc’alcool, on est en droit de se demander si celles-ci ne montrent pas qu’une consommation régulière d’alcool est nécessaire dans la participation à des activités sociales. Dans cette explication festive scientifique de l’équation 2-3-4-0, par exemple, où dans les publicités imprimées qui disent «que l’homme peut en prendre plus», où dans cette publicité qui montre un bonhomme allumette et une bonhomme allumette prendre respectivement deux et trois verres dans une ambiance sociale agréable – la publicité n’a pas été trouvée sur le web.

Dans les Recettes pompettes, les spectateurs ne sont pas manipulés : ils sont conscients qu’ils sont devant une situation exceptionnelle. Si cuisiner en état d’ébriété était la norme, on ne fonderait pas un concept d’émission sur cette prémisse farfelue. Dans les publicités d’Éduc’alcool, les spectateurs se font rentrer dans la gorge une «nouvelle norme sociale» déguisée en comportement responsable.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.