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Pas sous le radar

Jolène Riendeau, Cédrika Provencher, Julie Surprenant, Marie-Ève Larivière, Julie Boisvenu. Ces noms évoquent sûrement quelque chose dans votre esprit. La couverture médiatique qui a suivi leur disparition et parfois la découverte de leur dépouille a gravé ces noms dans nos mémoires, au chapitre sinistre des disparitions.

Maintenant, qu’en est-il de Maryse Fréchette, de Sandra Gaudette, de Minnie Kenojuak, de Bea Kwaronihawi Barnes, de Evie Luuku, de Kelly Morrisseau, de Tiffany Morrison, de Ruby Ann Poucachiche, de Leah Qavavauq, de Francesca Saint-Pierre, de Jane Louise Sutherland, de Linda Condo, de Linda Angotigirk, de Marlène Barbeau, et de Shannon Alexander et Maisy Odjick? Ces filles et femmes autochtones, disparues, violentées ou assassinées au Québec dans les mêmes années, n’ont pas fait les manchettes. Au mieux, elles ont fait l’objet d’un entrefilet laconique dans les journaux locaux. On a couvert ces disparitions comme s’il s’agissait de faits divers survenus en Syrie. Pourtant, la distance kilométrique ne saurait expliquer l’indifférence : les victimes vivaient à Joliette, à Kahnawake, à Gatineau, à Limoilou, à Maniwaki.

On sait la violence systémique dont sont victimes les femmes autochtones. Un rapport de la GRC paru en mai dernier révélait que depuis 1980, 1181 femmes autochtones étaient portées disparues ou avaient été assassinées. Ce même rapport nous apprenait qu’au Canada, 16 % des femmes victimes d’homicides et 11,3 % des femmes disparues étaient des Autochtones, c’est trois à quatre fois plus que le pourcentage de femmes autochtones au sein de la population canadienne, soit 4,3 %.

On sait la violence systémique dont sont victimes les femmes autochtones, mais on en prend toute la mesure en lisant Sœurs Volées, Enquête sur un féminicide au Canada, par la journaliste Emmanuelle Walter, paru en novembre chez Lux Éditeur. Cet essai qui se lit d’un trait révèle les mécanismes qui, plusieurs siècles après la colonisation, continuent de vulnérabiliser les populations autochtones. Le regard frais d’Emmanuelle Walter sur la question autochtone lui permet de s’extraire d’une couverture paternaliste, colonialiste, misérabiliste et remplie d’idées reçues de ce drame qui semble se jouer dans la plus grande indifférence des Québécois.

Il y a quelque chose de très gênant à se faire enfoncer le nez bien solidement dans notre caca par une journaliste d’origine française. Mais Emmanuelle Walter, arrivée au Québec il y a environ quatre ans, réussit à ne pas tomber dans le colonialisme à son tour en constatant l’apathie médiatique à l’égard des communautés autochtones. Surtout, il y a quelque chose de tellement nécessaire et légitime à ce qu’un regard neuf soit posé sur une question aussi grave, qui suscite trop souvent chez nous la lassitude, quand ce n’est pas l’exaspération. Pourtant, il s’agit de vies humaines qui sont fauchées. L’équivalent de 55 000 Françaises ou de 7000 Québécoises, depuis les années 80, illustre la journaliste, admettant la nécessité de rapprocher ces femmes anonymes de notre réalité pour nous rappeler qu’il s’agit de personnes. Elle parvient à humaniser ce féminicide en retraçant l’histoire de Shannon Alexander et de Maisy Odjick, deux adolescentes disparues près de Maniwaki et de Kitigan Zibi en septembre 2008.

Alors que des rédacteurs en chef défendent une couverture anémique des disparitions de femmes autochtones en prétextant que, contrairement aux blanches, ces filles n’ont pas de famille qui les attend, Emmanuelle Walter part à la rencontre de ces familles «présumées indifférentes» pour nous faire découvrir leur souffrance, leur humanité. On fait la connaissance d’une grand-mère membre des Forces, d’une mère animatrice de radio, d’une tante marathonienne, d’un beau-père travailleur social, d’un père artisan. On est loin d’un film de Robert Morin dépeignant les «indiens» en tarés ou en fans de Kateri Tekakwitha.

À l’heure des bilans de fin d’année, Stephen Harper a déclaré à Peter Mansbridge que l’idée d’une enquête nationale sur les disparitions et meurtres de femmes autochtones, revendiquée par plusieurs groupes, n’était pas très élevée dans son radar.

«Um it, it isn’t really high on our radar, to be honest … Our ministers will continue to dialogue with those who are concerned about this.»

Cela a au moins la qualité d’être honnête.

Pour entamer l’année électorale, Stephen Harper claironne aussi que le Canada se dirige vers une prospérité sans précédents. Que diriez-vous de consacrer une partie de cette prospérité à déployer toutes les forces nécessaires pour comprendre et à éradiquer les facteurs qui confinent encore aujourd’hui les communautés autochtones à la vulnérabilité?

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