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Le suicide au travail

Photo: Métro

Il y a des sujets qui demeurent tabous. Le suicide au travail en est un.

En France, la découverte du corps d’un employé de France Télécom sur son lieu de travail, en juin dernier, a ravivé le cauchemar de la vague de suicides qui s’était produite entre 2008 et 2010. Ce sont 35 personnes qui s’étaient alors donné la mort dans ce pays, ce qui a conduit à une enquête judiciaire pour harcèlement moral des patrons.

Au Québec, la question du rôle du travail dans le suicide est le plus souvent évacuée. Entrevue avec Bruno Marchand, directeur général de l’Association québécoise de prévention du suicide.

On parle beaucoup du suicide en lien avec le travail en France, et même de vagues de suicide (chez France Télécom par exemple). Qu’en est-il au Québec?
Le phénomène est de moindre importance qu’en France ou en Asie, mais il y a des entreprises qui connaissent des difficultés de ce type.

Lesquelles?
Mieux vaut s’abstenir de les nommer, car le phénomène s’en trouve parfois accentué. Les suicides dans un milieu de travail ne se manifestent pas tous de la même façon.

Y a-t-il tout de même des métiers plus à risque?
Les gens qui exercent un métier en «uniforme» sont plus à risque : policiers, médecins, vétérinaires, pharmaciens, soldats. Cette affirmation est tout de même à prendre avec un grain de sel, car les travailleurs d’autres métiers sont à risque, comme les agriculteurs, qui sont des travailleurs autonomes isolés exerçant une activité dévalorisée socialement et dans un difficile contexte de mondialisation.

Y a-t-il des éléments communs à ces milieux où l’on se suicide?
En général, il y a un patron qui nie le problème. Parmi les réactions classiques, celle de se dépêcher de conclure que les cas de suicide n’étaient pas reliés au travail ou d’affirmer que ceux qui ont posé le geste étaient d’ex-employés. Souvent, le patron ne veut pas assumer le risque de faire des déclarations publiques. Donc, il n’en parle pas.

Cette négation est-elle dangereuse?
Si le patron se met la tête dans le sable, aucune mesure de prévention ne sera mise en place dans son milieu professionnel. Il a pourtant un pouvoir sur ses employés, et ça peut faire une différence. Le suicide qui survient dans un milieu fermé affecte tout le monde, il ébranle la communauté. France Télécom est justement un cas de négation, dans lequel il y avait clairement une relation entre les suicides et la négociation des conditions de travail.

Peut-on vraiment associer un suicide avec la pression ressentie au travail ou l’échec professionnel?
On n’aura jamais de certitude. Il n’y a pas deux cas de suicide qui aient exactement les mêmes causes, ou qui n’aient qu’une seule et unique cause. En fait, ce n’est pas si important de prouver que le travail est responsable du geste de la personne. Il faut plutôt décider d’agir dès qu’un suicide se produit en milieu de travail. Si on ne fait rien, le risque que ça se reproduise est grand. Les gestionnaires et les responsables des ressources humaines devraient agir.

Quelles mesures devraient prendre les gestionnaires?
La réaction la plus simpliste consiste à mettre en place une seule activité ou à organiser une conférence. Or, une action isolée ne fonctionne jamais. Ce n’est pas suffisant. En plus d’être capable d’écouter ceux qu’on appelle les «sentinelles», c’est-à-dire des gens vigilants en mesure de reconnaître les signes avant-coureurs, de réseauter et d’écouter la personne vulnérable, les organisations devraient mettre en place des programmes d’aide aux employés, documenter la santé au travail et former du personnel.

Comment les gestionnaires devraient-ils réagir si un employé se suicide sur les lieux de travail?  
Quand le fait est déjà avéré, on parle de «postvention». Il faut d’abord trouver l’organisme qui offre de la postvention sur son territoire. Selon la situation, on nous indiquera qui rencontrer, quels gestes poser, quelles communications diffuser. S’entourer d’experts pour accompagner la communauté blessée est primordial : le manque d’efficience peut entraîner la mort d’autres personnes.

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