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La mode en transition

PARIS, FRANCE - JUNE 29: A model walks the runway during the Saint Laurent show as part of the Paris Fashion Week Menswear Spring/Summer 2015 on June 29, 2014 in Paris, France. (Photo by Francois Durand/Getty Images) Photo: Getty Images

L’historienne américaine Valerie Steele a parlé de la mode, cet univers en constante évolution dont elle a fait son champ d’expertise, avec Métro.

La mode est un phénomène à la fois politique et social, affirme depuis toujours Valerie Steele, directrice et curatrice en chef du Fashion Institute of Technology (FIT), à New York. Cette femme, qui est derrière une vingtaine d’expositions et qui a signé plus d’une douzaine d’ouvrages, nous parle de la mode, de l’avenir de celle-ci ainsi que de ses répercussions sur le corps humain.

Valerie Steele

Comment la mode a-t-elle modifié sa propre représentation, ces 10 dernières années, et comment cela a-t-il affecté la vie des gens?
Tout ce qui touche la mode connaît une véritable démocratisation, en raison des avancées technologiques et, notamment, d’Instagram. Aujourd’hui, les gens estiment que la mode les concerne personnellement et qu’ils peuvent créer eux-mêmes de nouveaux styles. Il y a 10 ans, même ceux qui connaissaient la mode ne se considéraient pas comme des experts.

Les mannequins taille plus comme Ashley Graham sont de plus en plus populaires. Voit-on vraiment les perceptions se transformer?
Les gens sont plus ouverts qu’avant à d’autres modèles de beauté. Les jeunes ont été sensibilisés à la diversité des corps, mais à l’intérieur de l’industrie de la mode, il y a encore des préjugés.

Des tendances apparaissent sur Instagram. On y voit aussi des vedettes comme Amber Rose et Kim Kardashian, arborer des ceinturons d’entraînement qui ressemblent à des corsets, et bien des femmes rêvent de les imiter. Pourquoi?
Depuis des siècles, le corset est un symbole de la féminité érotique. Plutôt que de suivre un régime et de faire de l’exercice, les femmes se disent «Je pourrais subir une chirurgie plastique, mais ce serait plus facile de porter un corset…» Et, d’une certaine façon, elles ont raison, même si c’est un sujet controversé. Pour une exposition que j’organisais au FIT, j’ai eu entre les mains une copie d’un corset de 1880. Beaucoup de femmes l’ont enfilé pour se faire photographier et voir à quoi leur corps ressemblait là-dedans. Elles étaient impressionnées du contraste entre leur buste et leurs hanches et la petitesse de leur taille.

Va-t-on vivre une nouvelle révolution vestimentaire?
La tendance, c’est l’émergence du corps artificiel. On remplace de plus en plus de parties du corps par des prothèses. Les implants mammaires en sont un exemple, mais il est aussi possible de remplacer des jambes. On voit apparaître des genres de cyborgs, des hybrides entre l’humain et la machine.

Quand on parle de l’avenir du design, les noms d’Iris van Herpen et d’Hussein Chalayan, qui œuvrent dans la mode depuis 20 ans, reviennent souvent…
On s’inspire toujours du passé pour imaginer le futur. Dans les années 1990, on croyait qu’au XXIe siècle, tout le monde s’habillerait de la même façon. On imaginait des combinaisons, des fermetures éclair en diagonale, avec une dominante de tons argentés… Tout ça nous vient directement d’images qu’on avait vues dans des films futuristes. Back to the Future est une exception: il était plutôt visionnaire, il montrait des changements dans la mode qui étaient influencés par les innovations technologiques…

Quand pourra-t-on voir les changements technologiques se refléter dans la mode?
En fait, les gens n’ont pas tellement envie de ça… Et les changements qui intéressent vraiment le public, ce n’est pas sur les passerelles qu’ils se produiront. Il existe des robes qui se contractent ou s’étirent et elles sont très belles, mais quand pourra-t-on se procurer, par exemple, des vêtements qui se lavent seuls? Ou, alors, des vêtements qui s’adapteraient au temps qu’il fait? Le public souhaite des vêtements utiles et adaptables. Mais à quoi peut-il bien servir d’inventer des tissus qui changent de couleur quand on transpire? Qui voudrait porter ça?

La mode a-t-elle un avenir?
Bien des gens disent qu’il n’y a plus rien à inventer… Je ne suis pas d’accord. La preuve, c’est que de nouvelles inventions apparaissent tout le temps! Dans le monde de la mode, toutefois, il y a une tendance qui est devenue évidente ces 15 dernières années: répéter ce qui s’est fait durant les décennies précédentes. C’est une manière facile et paresseuse de faire, même si ça peut sembler séduisant. On n’a qu’à penser à l’an dernier et à cette reprise un peu étrange de la mode des années 1970… Il n’y avait rien de créatif là-dedans, mais les gens ont acheté ces vêtements parce qu’ils leur semblaient familiers. Ils veulent quelque chose de nouveau, mais pas trop! Bien sûr, il y a des créateurs qui innovent vraiment, mais ils ne sont appréciés que de quelques oiseaux rares.

Qu’est-ce que l’industrie de la mode nous réserve?
On traverse une grande période de transition. La mondialisation, l’émergence des technologies… tout arrive en même temps. L’internet force les grandes maisons à se redéfinir; elles doivent maintenant trouver des façons de compétitionner avec des géants comme Zara ou H&M. Devraient-elles accélérer la cadence, mettre sur pied des défilés où le public pourrait acheter sur place ce qu’il voit? Je ne crois pas. On ne peut pas aller plus vite que la fast fashion! À mon sens, il faut faire exactement le contraire et imiter le mouvement Slow Food. Je pense qu’au fil du temps, on va voir cette tendance à apprécier la qualité se traduire aussi dans les vêtements qu’on porte.

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