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Andreja Pejic: «Une évolution, pas une transformation»

Photo: collaboration spéciale

La mannequin australienne transgenre Andreja Pejic nous parle de la vie après une chirurgie de réattribution sexuelle et nous explique pourquoi il est essentiel que l’industrie de la mode accepte davantage la diversité.

«Je me sens complète à 100%. Il était important pour moi de faire valoir ma position dans l’industrie, de défendre l’égalité des droits et d’obtenir le respect du milieu pour les mannequins trans parce que, actuellement, cela n’existe pas», déclare Andreja Pejic.

Voilà une déclaration ferme sur un sujet fort délicat, qu’il est peu commun d’entendre dans la bouche d’une mannequin. Il faut dire que rien n’est commun avec Andreja Pejic.

Ses cheveux blonds, ses lèvres charnues, son teint lumineux et ses pommettes hautes illustrent, voire dépassent ce qu’on peut s’attendre à retrouver dans la liste des attributs d’une top-modèle. Le fait demeure, cependant, que la personne avec qui je m’entretiens a subi récemment une chirurgie de réattribution sexuelle (CRS) MtF (de l’anglais «male to female», c’est-à-dire «homme vers femme») et qu’elle en a parlé publiquement. Voilà ce qui rend Andreja unique parmi ses pairs.

«J’éprouve une certaine responsabilité sociale, et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai voulu parler de mon opération et faire face à tout ce que cela pouvait susciter comme réactions», raconte-t-elle.

C’est une décision incroyablement courageuse si on considère que la communauté trans est encore l’objet d’une vive antipathie, sans parler des conséquences qu’une telle déclaration peut avoir sur les relations de la personne qui l’a fait – quelque chose qu’Andreja appelle la «transition sociale».

Et puis, il y a la question de sa très brillante carrière en tant que mannequin masculin androgyne pour des maisons de couture comme Jean Paul Gaultier et Marc Jacobs.

Ses agents lui ont dit et répété que cette transition détruirait sa carrière. Cela, cependant, n’a pas ébranlé sa détermination. «Je suis très fière de ma carrière en tant que mannequin androgyne, mais j’étais parvenue à un point où j’avais besoin de compléter mon rêve et de me sentir à l’aise dans mon corps. Et il n’était pas question que je cache ça», affirme-t-elle en plissant les yeux et en pinçant les lèvres.

Voilà les mots sans fard d’une femme qui, enfant, a dû composer quotidiennement avec le stress émotionnel de la «lutte contre tout ce qui montait naturellement 24 heures par jour, 7 jours par semaine».

À 13 ans, Andreja fouilla l’internet pour trouver pourquoi son envie de porter des jupes et d’avoir les cheveux longs, qualifiée de «phase» par ses proches, persistait. L’année suivante, elle décida même d’aller voir un médecin, qui lui expliqua qu’elle était trop jeune pour amorcer un processus de transition.

Elle a donc été obligée de fuir la réalité et les moqueries occasionnelles des enfants, qui la traitaient de «tapette», grâce à son imagination: «Je rêvais que j’allais au magasin avec ma mère ou que je sortais avec le plus beau garçon de l’école – des choses assez banales, mais pour moi, il s’agissait de rêves.»

La mannequin explique qu’elle a eu la «chance d’avoir pu subir une intervention au début de la vingtaine» et de pouvoir compter sur une mère compréhensive. Autrement, reconnaît-elle, elle aurait pu, comme plusieurs transgenres, souffrir de dépression et envisager le suicide.

Les trans forment en fait un groupe qui souffre souvent en silence en raison de l’ignorance et de la méfiance sociales. «Je ne pense pas que nous soyons à un stade où les médias comprennent pleinement le phénomène: il faudrait qu’ils s’attardent plus à la dimension émotionnelle de la transition qu’à ses aspects physiques. Au moins aujourd’hui, les transgenres peuvent répondre aux médias, ce qu’ils ne pouvaient pas faire avant.»

La mannequin de 23 ans insiste: «On devrait voir les gens en fonction de ce qu’ils disent qu’ils sont et ressentent, plutôt que de les juger sur leur corps. Nous ne regardons pas notre corps pour déterminer qui nous sommes.»

L’incompréhension qui existe dans le public se retrouve également dans le monde de la mode, une institution qui a été lente à accepter la diversité, dans tous les sens du terme. «Le problème, c’est qu’il s’agit d’un milieu très conservateur, assujetti au marché, et où il existe aussi de la discrimination», affirme la jeune femme.

La mode ou, plus précisément, son côté commercial, notamment l’industrie cosmétique, n’est pas prête à prendre le risque de confier à un mannequin trans le rôle de porte-parole d’une campagne susceptible de générer plusieurs milliards de dollars de revenus.

Mais il existe aujourd’hui des signes qui suggèrent que l’industrie est en train de prendre conscience des transgenres. Il suffit de penser à l’ascension de la muse de Givenchy Lea T, ainsi qu’à May Simon et Stav Strashko, qui font beaucoup parler d’eux dans les Semaines de la mode. «À mon avis, la société est prête à faire preuve d’ouverture, mais le milieu de la mode a encore du chemin à faire – mais il le fait», élabore Andreja.

Jean-Paul Gaultier: Runway - Paris Fashion Week Haute Couture F/W 2012/13

Tels sont les mots d’une activiste qui sensibilise un public de plus en plus large, notamment grâce à une autobiographie, qui sera publiée en Australie par l’éditeur Penguin au début de l’année prochaine, et à un documentaire consacré à la chirurgie de réattribution sexuelle qu’elle a subie.

Andreja a douté au début de la pertinence de filmer sa transition, mais son ami cinéaste Eric Miclette l’y a encouragée en lui disant: «Tu dois capturer ça sur image, sinon tu vas le regretter. Ton cas est unique et ton histoire peut aider de nombreux jeunes.» Le film, intitulé Andrej(a), tente d’amasser 200 000$ sur la plateforme de financement participatif Kickstarter.

La jeune femme est fière de ce qu’elle a accompli jusqu’ici et elle tient à souligner que la CRS fait partie «d’une évolution et non d’une transformation». Et ce processus, elle le juge aujourd’hui terminé. «Je me sens sûre de moi à 100%», se réjouit-elle.

Puis, quand on lui demande si elle est plus épanouie sur le plan sentimental maintenant qu’elle se sent pleinement femme, elle a un petit rire évasif: «Je suis célibataire en ce moment, et c’est sans conteste une situation plus amusante quand on est à l’aise avec soi.» Elle ajoute: «Je n’ai rencontré personne depuis un petit moment, mais je suis ouverte à l’amour. À une certaine époque, je croyais que l’amour n’était pas quelque chose que je méritais, mais aujourd’hui j’éprouve suffisamment de fierté pour dire que c’est exactement ce que je mérite.»

À savoir

  • Découverte dans un McDonald’s.
  • A quitté la Serbie pour Melbourne, en Australie, à l’âge de huit ans.
  • En 2011, elle était 98e au classement du magazine FHM consacré aux 100 femmes les plus séduisantes du monde.
  • Auparavant prénommée Andrej.

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