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Les mots croisés

Je ne suis pas trop mauvais aux mots croisés. Je ne vais assurément pas m’inscrire aux Olympiques dans cette discipline, mais je me débrouille. Je connais mes capitales d’Amérique latine, les éléments du tableau périodique n’ont plus de secret pour moi et je connais mes adverbes de temps comme si je les avais tricotés. Comme je travaille dans un bureau qui est aussi un café (Café chez l’Éditeur, 7240, rue Saint-Hubert, viens nous voir!), je m’installe parfois au comptoir, tôt le matin, dans la lumière tamisée de l’aube, avec un délicieux double espresso, et je fais les mots croisés du journal Métro.

Depuis quelques semaines, j’ai un adversaire de mots croisés, bien que je sois le premier surpris qu’une telle chose existe. Il s’agit d’un septuagénaire pincé aux cheveux couleur de craie qui est toujours vêtu d’un long trench-coat noir et d’un foulard de couleur différente selon les journées, probablement en fonction de son état d’esprit du matin. L’homme ramasse un Métro, s’installe à une des tables du café et entreprend de faire ses mots croisés de manière ostentatoire. Si tu te poses la question, faire ses mots croisés de manière ostentatoire, ça veut dire s’exclamer à haute voix, quand on trouve un mot: «Se met en colère, sept lettres? FULMINE!! Hahaha, c’est tellement facile!» Ou encore, refermer le journal en disant à la cantonade : «Un autre de fini!»

Il m’éneeeeeerve! Je suis convaincu qu’il se pète les bretelles seulement pour me faire suer. Il me voit en train de me torturer mentalement devant ma grille et me jette des petits regards arrogants du style «vous n’êtes pas de taille contre moi, jeune homme».

Hier, n’en pouvant plus de cet affront, j’ai décidé de recourir à un stratagème. Je suis arrivé super tôt au café et j’ai complété la grille du jour avant que mon Némésis arrive, puis j’ai jeté cette copie. Quand il est apparu dans la porte – cette fois avec un foulard couleur pourpre, ce qui est son droit le plus strict –, je me suis installé à la table juste à côté de lui avec une nouvelle copie du journal, copie où les mots croisés étaient encore vierges.

Ça, les enfants, ça s’appelle tricher et il ne faut pas faire ça. Notamment parce que, bien souvent, ça fonctionne.

Mais bref, en m’assurant qu’il me voyait faire, j’ai complété les mots croisés du jour à la vitesse de la lumière (parce que je connaissais les réponses), en sifflotant nonchalamment, comme si de rien n’était, tel le Usain Bolt des définitions, le Bobby Fisher des essences d’arbres ou le Elon Musk des mots de deux lettres.

Laisse-moi te dire que le fanfaron ne fanfaronnait plus. Il avait la bouche ouverte et n’avait même pas trouvé un seul mot alors que je refermais déjà le journal, sobre dans la victoire.

Vais-je lui dire que j’ai triché? Indice : c’est un mot de six lettres commençant par J et se terminant pas AMAIS.

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