Avant les Fêtes, quand nous étions en Guadeloupe avec la famille, nous sommes allés faire une balade en bateau pour découvrir le Canal des Rotours et le Grand Cul-de-Sac marin. Le capitaine s’appelait Vincent. C’était un Guadeloupéen d’une cinquantaine d’années, de petite taille, au muscle ferme et à la barbe blanche qui se découpait sur sa peau noire, ridée par le soleil. Il nous expliqua avec émotion et érudition l’histoire de ce canal creusé au début du XIXe siècle par des esclaves (l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe ne se fera qu’en 1848), dont au moins une trentaine moururent pendant la construction. Conduisant d’une seule main son embarcation sur le canal qui serpentait dans la mangrove, il nous parla de la mangrove elle-même et des palétuviers, ces arbres exceptionnels, qui la composent. Les palétuviers parviennent à filtrer l’eau salée de la mer en accumulant le sel dans seulement quelques-unes de leurs feuilles qui jaunissent et finissent par tomber, libérant ainsi l’arbre de ses surplus en minéraux. (#Science #CharlesTisseyre)
À un moment donné, on croisa une minuscule barque où deux pêcheurs taquinaient le poisson. Les deux hommes étaient couverts de la tête aux pieds de vêtements longs et leurs visages étaient masqués, probablement pour se protéger du chaud soleil des Tropiques.
Mon fils, Johnny Trempe, presque six ans, curieux comme une belette, me demanda : «Pourquoi les pêcheurs portent des masques, papa?
– Je ne sais pas, bonhomme. Peut-être pour se protéger du soleil.
– Non, ce n’est pas pour le soleil, intervint le capitaine. Ils portent des masques parce que ce ne sont pas de vrais pêcheurs.
– Hein?! s’exclama Johnny. Mais ils ont des cannes à pêche!
– Oui, tu as raison, pitit. Mais en réalité, ce sont des douaniers déguisés en pêcheurs.
– Des douaquoi? lui demanda Johnny, qui n’était pas
au courant de l’existence
de ce mot.
– Des douaniers, ce sont des policiers qui surveillent les frontières, traduisis-je.
– Ils essaient d’attraper des trafiquants qui arrivent d’Antigua ou de Monserrat avec de la contrebande, continua le capitaine. De l’herbe, des crabes, des trucs à revendre
– Les policiers se déguisent en pêcheurs?
– Eh oui, pitit.»
Nous continuâmes d’avancer à grande vitesse sur le canal. Arrivés à l’embouchure sur la mer des Caraïbes, nous aperçûmes un autre bateau de pêcheurs. C’était une embarcation de plus grande taille cette fois, occupée par deux hommes qui semblaient s’adonner à la pêche à la mouche.
Johnny se tourna vers le capitaine et dit : «Est-ce que ce sont des pêcheurs, ceux-là, Capitaine?
– Non, pitit.
– Des bananiers?
– Douaniers, intervins-je.
– Des douaniers? se corrigea-t-il.
– Non, pitit, continua le Capitaine.
– Ben, c’est quoi d’abord?
– Ceux-là, ce sont des trafiquants.
Johnny fronça les sourcils, insatisfait de la réponse du marin.
– Mais est-ce qu’il y a des vrais pêcheurs ici, coudon!?!»
Le Capitaine Vincent éclata de rire et dit cette phrase dont je me souviendrai longtemps :
«Pas beaucoup, pitit. Parce que, contrairement à ce qu’a tenté de nous faire croire l’Église catholique pendant des siècles, en Guadeloupe, les hommes ne sont pas tous des pécheurs.»