Le mot est sur toutes les lèvres, dont celles du premier ministre François Legault: déconfinement. Après l’hiver et les mesures sanitaires doit venir une réouverture graduelle de l’économie. Mais si les variants du coronavirus venaient brouiller les cartes?
La date était encerclée chez bien des Québécois. Le lundi 8 février. Après un «traitement choc» imposé par le gouvernement Legault, c’est à ce moment-là que le Québec devait reprendre une vie normale, du moins partiellement.
La semaine dernière, François Legault se montrait optimiste. Rouvrir l’économie dans certaines régions, c’est probable, disait-il. «On devrait, si la tendance se maintient, être capable de vous annoncer un relâchement de certaines consignes.»
Il y a une ombre au tableau, souligne l’expert en microbiologie Benoit Barbeau: les variants du coronavirus. Arrivées d’Angleterre, par exemple, ces mutations au coronavirus menacent selon lui le paisible retour à la normalité de la province.
Aux dernières nouvelles, un variant se reproduisait au Québec: celui provenant de Grande-Bretagne. Vendredi, il avait infecté huit Québécois.
À la chasse au variant
Quels sont donc ces variants qui inquiètent tant? En gros, des modifications génétiques au coronavirus d’origine, celui qui est issu de Wuhan et qu’on nomme SRAS-CoV-2. On en compte des dizaines, mais trois d’entre eux font l’objet d’un suivi serré à la Santé publique: une souche britannique, une souche brésilienne et une souche sud-africaine.
Vendredi, le Laboratoire national de santé publique du Québec confirmait son intention d’intensifier le suivi des variants. C’est que ces modifications au coronavirus d’origine peuvent être plus contagieuses, plus virulentes, ou encore, plus résistantes aux vaccins.
Selon des données récentes, le variant britannique n’est pas plus violent. Les vaccins disponibles au Québec seraient aussi efficaces contre celui-ci.
Par contre, le variant anglais serait jusqu’à 80% plus contagieux que le coronavirus d’origine.
«C’est un variant qui n’est pas connu pour augmenter la sévérité de la maladie et le nombre de décès. Mais c’est sûr que s’il infecte des gens âgés, il y a des chances que ça augmente le nombre d’hospitalisations», avertissait vendredi le microbiologiste en chef du Laboratoire de santé publique du Québec, Michel Roger.
Pas si vite
Dans le contexte, Benoit Barbeau s’étonne d’entendre François Legault évoquer un nouveau déconfinement.
«J’aurais tendance à considérer un maintien des mesures. On est devant un point tournant de la pandémie. On parle beaucoup de variants, on a nos problèmes. Ça fait qu’on doit être plus préventifs que proactifs», analyse ce professeur de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
«Le gouvernement a tendance, des fois, à lancer des bonnes nouvelles, à suggérer un déconfinement, et se retrouve à devoir revenir sur ses décisions», rappelle-t-il.
Avant les Fêtes, le «trio COVID» avait notamment annoncé des mesures spéciales de rassemblement pour Noël, avant de revenir sur ses pas quelques jours plus tard.
«Si c’était à refaire, je n’ouvrirais pas la porte à deux jours de rassemblements à Noël», avait convenu le premier ministre à la fin de cette saga.
La question des frontières
François Legault est conscient des risque du variant britannique. «Si le variant s’installait au Québec comme au Royaume-Uni, ça serait la catastrophe dans nos hôpitaux», avançait-il lui-même la semaine dernière.
Dans la province voisine de l’Ontario, les infections au variant se comptent par dizaines, et la Santé publique s’attend à ce qu’il soit derrière la majeure partie des nouveaux cas dès le mois de mars.
Pour réduire la transmission du variant, le premier ministre comptait sur l’annulation des vols non essentiels à l’étranger. Il a partiellement eu gain de cause quand le gouvernement fédéral a annoncé vendredi la suspension des trajets aériens vers le Mexique et les Caraïbes.
Selon l’experte en santé publique Roxane Borgès Da Silva, ce n’est qu’un des pas qui réduira le risque.
«On a cette variable inconnue et très dangereuse qu’est le variant», souligne cette professeure agrégée à l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM). Pour elle, le gouvernement du Québec doit, lui aussi, adopter le principe de précaution et demeurer patient dans son déconfinement.
Maintenir le couvre-feu?
Déconfinera? Déconfinera pas? Une chose est sûre: François Legault maintient que la mesure phare de l’hiver, le couvre-feu, fonctionne.
«Il n’y a pas de preuves directes, mais, depuis qu’on applique le couvre-feu, il y a moins de visites dans les maisons, il y a moins de contagion, en particulier chez les personnes de 65 ans et plus», a-t-il réitéré jeudi.
Des données récoltées par Métro démontrent que les Montréalais se déplacent bel et bien moins depuis son entrée en vigueur.
Sur les artères routières majeures de la métropole, les déplacements après 20h se sont abaissés de 63%. Dans le métro, la STM «a retrouvé le niveau d’achalandage […] connu lors du premier confinement en avril 2020, où seulement les déplacements essentiels étaient permis».
Des chiffres qui démontrent bel et bien la capacité du couvre-feu à limiter les rassemblements privés, souligne Marie-France Raynault, professeure émérite à l’ESPUM.
«Je ne serais pas en faveur qu’on allège le couvre-feu, indique-t-elle. Par contre, peut-être qu’on pourrait ouvrir les bibliothèques, par exemple, où le risque est très contrôlé. On pourrait peut-être ouvrir les musées, où on sait qu’on peut contrôler l’achalandage.»
Roxane Borgès Da Silva abonde dans le même sens, surtout «tant qu’on n’a pas d’informations sur le variant».
Elle invite François Legault à rester prudent dans ses promesses aux Québécois.
«Il faut se dire qu’on est dans une nouvelle façon de fonctionner. Il faut arrêter de s’accrocher au 11 janvier, au 8 février, à ce genre de dates-là… On va être à long terme dans une société où la réduction des contacts va être le modus operandi», souligne-t-elle.
François Legault annoncera s’il va bel et bien de l’avant avec un déconfinement partiel en début de semaine.