CHRONIQUE – Six mois en politique semblent une éternité, dixit l’adage, et dont la version pandémique pourrait s’amender de la façon suivante: un jour à la fois, doux Jésus (laïc). Particulièrement si, comme le disait Allen, l’éternité c’est long, surtout vers la fin.
C’est ainsi qu’au début décembre le premier ministre Legault affirmait, souriante confiance à l’appui, que nous aurons «un beau Noël». Ceci, bien entendu, en faisant abstraction d’un Omicron ravageant l’Europe et (déjà) bien en selle à même la Nation du Cheuf.
Après? De 25 convives à 20. À 10. À six. Multiplication de conférences de presse, ballons d’essai préalables, et blâmes adressés à la meute journalistique pour avoir joué le jeu dudit ballon. Panique à bord, en bref, au point d’invoquer le chemin Roxham comme vecteur de contamination. N’importe quoi, mais rien à comparer de la pièce de résistance: l’imposition, inopinée et péremptoire, d’un… couvre-feu. Impression de déjà-vu?Pas tant.
Parce que si celui de janvier dernier reposait sur l’excuse (légitime) de la non-vaccination collective, la récidive, elle, se veut davantage la résultante d’improvisation, d’absence de planification et, à charge de redite, de panique totale.
Or, si une vaste majorité de la population s’était à l’époque montrée conciliante, voire bonne joueuse, face à la mesure draconienne, force est maintenant de constater l’absence d’acceptabilité sociale, prise deux. Une espèce de rupture, pratiquement complète, d’un tissu social (déjà) passablement effiloché. Même chez les ambassadeurs les plus véhéments de la pro-action gouvernementale, l’odeur de l’illégitimité des mesures se fait dorénavant sentir. Pas bon signe.
Dans ce cadre particulier, nul doute qu’une contestation de la nouvelle mesure devrait, tôt ou tard, survenir. Les chances de succès? Bonnes, sinon solides, à mon sens.
Sans prétendre à un exercice précis et encore moins infaillible, le test des tribunaux ressemblerait, dans son essence, à ceci:
Que le droit à la liberté, protégé à l’article 7 de la Charte canadienne, est actuellement, pour des raisons patentes, violé. Idem aussi, possiblement, quant au droit à la sécurité sinon à la vie, quelques études soulignant la recrudescence potentielle des féminicides ou autres violences provoquées par l’isolement imposé. Re-idem côté détresse psychologique, notamment chez les jeunes. Voir, à tous ces effets, la lettre des 13 universitaires québécois publiée le 1er janvier dernier.
S’il est convenu que la violation d’un ou plusieurs droits prévus à l’article 7 puisse s’effectuer en conformité avec «les principes de justice fondamentale», lesquels réfèrent à la conception de la justice et l’équité procédurale adoptée au pays, il serait saugrenu qu’une mesure liberticide telle qu’un couvre-feu passe une rampe semblable.
Les conclusions précédentes forcent ensuite l’évaluation de l’article premier de la Charte, permettant de racheter une violation si celle-ci se justifie «dans le cadre d’une société libre et démocratique». Le fardeau de la preuve s’étant depuis déplacé sur les épaules de l’État, quatre critères devront alors, cumulativement, être respectés par ce dernier:
a) Le couvre-feu poursuit-il un objectif réel et urgent, soit celui de ralentir une contamination galopante? Aucune doute que oui;
b) Existe-t-il un lien rationnel entre ce même objectif et la mesure dudit couvre-feu? Voilà où le bât blesse une première fois: comme l’expliquent les chercheurs Julien Simard et Emma Jean, le lien en question, sur le plan québécois, est «introuvable». Ceux-ci seront heureux d’apprendre que l’ineffable Dr Arruda se montre d’accord avec eux: «Le couvre-feu passe un signal et permet de diminuer les possibilités de contact. Si vous me demandez s’il y a une étude contrôlée qui démontre ça, la réponse est non.» Une question de feeling, donc. Pas optimal, pour convaincre un tribunal, mettons;
c) Connaît-on une solution moins attentatoire aux droits violés? Sachant que la grande majorité des éclosions provient des systèmes de ventilation et d’aération déficients de nos écoles, réponse facile, non? Ajoutons à ceci l’accélération (enfin) de la troisième dose, l’obtention des tests rapides, des restrictions (beaucoup) plus sévères envers les récalcitrants (un couvre-feu uniquement applicable à ceux-ci?) et la cour est pleine, côté solutions de rechange;
d) L’ensemble de ce qui précède est-il proportionnel? Tente-t-on d’assassiner une mouche avec un bazooka? Possible, sinon probable.