Une église évangéliste fait réagir depuis quelque temps, avec des sermons publics visant – entre autres – les juifs, la communauté LGBTQ+ et des jeunes.
Hassan Hamoud se présente comme un pasteur évangéliste. Il effectue des sermons publics avec haut-parleur, dans divers endroits à Montréal. Déambulant dans le Village – un des nombreux «lieux de débauche» qu’il vise expressément –, il invite les «pécheurs» à se repentir.
Souvent confronté par les passants et personnes à qui il s’adresse, il capte ses sermons et les diffuse sur la page YouTube de son groupe religieux, Christ Is Enough.
Le premier septembre dernier, le pasteur de ce groupe religieux diffusait une vidéo dans le Village, titrée Violent Sodom & Gomorrah communitiy attacks christians & GOD silences cops. On le voit sermonner des passant.e.s. Des visiteur.euse.s lui répondent et des policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) lui demandent de baisser le son, sans succès. Les passant.e.s tapent sur la caméra pour la faire tomber.
Une église néfaste, estiment plusieurs
Métro a contacté Pascal Vaillancourt, directeur général d’Interligne, service d’aide et de renseignement pour les personnes concernées par la diversité sexuelle et la pluralité des genres. Le discours du pasteur le met en colère. Selon lui, «ce sont des personnes dangereuses qui peuvent avoir des effets néfastes sur la santé mentale de plusieurs personnes LGBTQ+».
Déjà, trop souvent, les contextes familiaux peuvent être hostiles aux réalités LGBTQ+ et le Village peut être un des premiers lieux d’exploration pour des personnes en questionnement. Imaginez ces personnes tomber sur ces prêcheurs…
Pascal Vaillancourt, directeur général d’Interligne
Il juge également qu’il y a des risques pour toute personne vulnérable ou en questionnement sur son identité. «Les personnes qui sont dans un processus d’acceptation de leur orientation sexuelle ou d’identité de genre sont d’autant plus à risque de croiser le chemin de gens qui les invalident et/ou parlent de la guérison de l’homosexualité.»
Un sermon en plein cœur de la communauté hassidique
Métro a pris connaissance de l’existence du groupe religieux à la mi-juillet alors qu’un groupe de prêcheurs diffusait son message à haut volume, au coin de l’avenue du Parc et de la rue Saint-Viateur. Le secteur est densément fréquenté et habité par la communauté hassidique de Montréal. L’un des prêcheurs a assuré à Métro que l’intersection avait été choisie au hasard, malgré les références à la Torah, à «Joshua» (Jésus en hébreu), aux invitations à se repentir devant Dieu et aux références à la crucifixion de Jésus par les Juifs.
Marvin Rotrand, le directeur national de B’nai Brith, une organisation juive indépendante visant à combattre la haine et l’antisémitisme (entre autres), rappelle que la communauté hassidique «est souvent ciblée par des actes de haine et ne veut pas être perturbée dans son propre voisinage».
Selon M. Rotrand, de «tenter de convertir au christianisme» cette communauté en se rendant dans son voisinage, «c’est un mauvais message qui sans doute inquiète et invite à la haine». Il demande à ceux qui font ces sermons d’arrêter.
Par courriel, le groupe religieux a tout de même affirmé, en anglais, que ses sermons ne sont pas spécifiques à des zones. L’église estime plutôt qu’elles sont à l’intention de tous, puisque «nous avons tous péché». Selon le pasteur Hassan Hamoud, tous méritent d’entendre ce message.
Aucune vidéo de ce sermon n’a été diffusée. Les agents de communication du SPVM ont toutefois affirmé que des patrouilleurs sont intervenus. Une plainte de bruit aurait été déposée contre ce pasteur, qui aurait également été victime de voie de fait. Aucune arrestation n’a été effectuée.
Le pasteur effectue ce type de sermons un peu partout à Montréal, s’adressant à qui veut bien l’entendre et même à ceux qui ne veulent pas l’entendre, comme il l’affirme par courriel. Il assure que sa mission est basée sur «un amour du Christ et le salut qu’il désire que tout le monde partout reçoive».
Haineux, mais pas illégal
M. Vaillancourt juge que le discours du pasteur dans le Village devrait être jugé répréhensible par les autorités. «Ce sont des discours haineux qui ont lieu sur la place publique et dans le Village en plus. […] Ça ressemble à du harcèlement.»
Le SPVM rappelle par courriel que ses agents ont le pouvoir discrétionnaire de sévir ou pas, sauf s’il s’agit d’une infraction au Code criminel. Selon une avocate en droit pénal, Raphaëlle Desvignes, à qui Métro a montré la plus récente vidéo filmée dans le Village, aucune infraction au Code criminel n’est visible ou évidente.
«Il faut faire attention avec la politisation de toutes les interactions», insiste l’avocate. Même si, d’un point de vue personnel, elle juge que c’est un comportement qui n’est pas souhaitable et désagréable pour les gens du quartier «avec l’aspect homophobe et haineux» des propos tenus.
Ceci dit, est-ce qu’on souhaite policer les rues, politiser la liberté d’expression encore plus par une judiciarisation? Peut être pas. Même si, dans ce cas-ci, on a l’impression que c’est souhaitable, après si on transpose ça à des manifestations environnementalistes ou contre la brutalité policière ou pour Black Lives Matter, après la police peut se réapproprier ça.
Raphaëlle Desvignes, avocate en droit pénal
Liberté d’expression et de religion
«Il y a toujours en filigrane la liberté d’expression du monsieur», affirme également Me Desvignes, sans faire l’apologie de son discours, qu’elle compare au racisme: «Être raciste, ce n’est pas une infraction criminelle.»
Selon Christian Tanguay, directeur général du Centre communautaire LGBTQ+ de Montréal, ce type de situation est courant dans le reste du Canada et aux États-Unis, où deux droits se heurtent: celui de la liberté de religion ainsi que l’interdiction de la discrimination à caractère homophobe.
À son avis, «lorsque l’on remarque une personne utiliser des moyens technologiques pour amplifier la portée de sa voix et qu’elle s’invite dans un quartier avec une forte densité de personnes LGBTQ+», ça transgresse la notion de liberté de religion inscrite dans les chartes canadienne et québécoise.
Selon moi, cette situation est déplorable et porte à se poser des questions à savoir s’il y a radicalisation chez certains prédicateurs.
Chritian Tanguay, directeur général du Centre communautaire LGBTQ+ de Montréal
Aucune contravention au nom du pasteur n’a été remise, selon les agents de communication du SPVM. Pour ce qui est de l’adresse figurant sur les dépliants que remettait le groupe au coin de l’avenue du Parc et de la rue Saint-Viateur, aucune intervention policière ne se trouve dans les dossiers du SPVM, sauf une plainte de bruit en 2014.