Les personnes en situation d’itinérance qui campent sous l’autoroute Ville-Marie ont obtenu un nouveau délai de grâce. La juge Chantal Masse, de la Cour supérieure, ordonne au ministère des Transports du Québec de repousser de 10 jours l’expulsion des campeurs pour entamer des travaux.
La juge Masse conclut dans son jugement rendu mardi que l’expulsion immédiate des campeurs leur causerait un «préjudice irréparable», considérant leur vulnérabilité et «le manque criant de ressources, déjà trop bien connu» pour les reloger à court, moyen ou long terme.
L’expulsion de ces personnes de leurs campements coupera les liens qu’elles ont tissés entre elles et les privera de l’entraide établie entre elles, les rendant beaucoup plus vulnérables, créant une détresse et une aggravation de leurs conditions.
Extrait de la décision de la juge Chantal Masse, de la Cour supérieure du Québec
La magistrate a également constaté que l’expulsion des personnes en situation d’itinérance leur causerait plus d’inconvénients que le délai en créerait pour le MTQ, et ce, même s’il est «évident que les travaux de remise en état de l’autoroute 136 sont nécessaires et importants». «La preuve quant aux délais dans lesquels les travaux doivent absolument procéder demeure toutefois floue en ce qui concerne la période située entre le 22 mars 2023 et le 15 juillet 2023», soutient-elle dans son jugement.
Notons que le délai de 10 jours était le maximum que la juge Masse pouvait accorder à ce stade-ci des procédures. Les avocats doivent se retrouver au palais de justice le 21 avril prochain pour plaider le renouvellement de l’ordonnance de sauvegarde, aux dires de Me Éric Préfontaine, qui représente la Clinique juridique itinérante.
«Une petite victoire pour les droits humains»
«C’est 10 jours de répit», s’est réjoui le directeur général de la Clinique juridique itinérante, Me Donald Tremblay, mardi lors d’une conférence de presse sur les lieux du campement. Malgré tout, le gouvernement doit négocier «une solution humaine à cette situation inacceptable» pour offrir aux campeurs «le minimum auquel ils ont droit», insiste-t-il.
«C’est une petite victoire pour les droits humains», a lancé le directeur général de Résilience Montréal, David Chapman, «souhaitant toutefois que les personnes qui luttent pour les droits de l’homme ne soient pas si déconcentrées et affaiblies».
La juge Masse a également vivement critiqué l’attitude adoptée par le MTQ à l’égard des campeurs, la qualifiant de «peu adaptée» depuis que le ministère a initialement sursis à leur expulsion en novembre dernier. «Aucune solution concrète permettant de reloger les personnes habitant le campement n’a en effet été proposée, les autorités affirmant n’avoir pu réussir à tisser un lien de confiance avec ces personnes et celles-ci ayant fait défaut de frapper», conclut-elle.
Les approches du gouvernement, du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal et celles des personnes en situation d’itinérance ne peuvent «être décrites comme proactives», déclare la magistrate.
Une première, mais non un précédent
Il s’agit du premier jugement au Québec qui aborde l’expulsion d’un campement de personnes en situation d’itinérance comme celui sous l’autoroute Ville-Marie.
Toutefois, la juge Masse a pris soin de préciser que demeure «ouverte» la question de savoir si, en raison de travaux «relevant de l’intérêt public», l’État peut expulser des personnes en situation d’itinérance qui occupent un lieu illégalement sans proposer de solution d’hébergement.
«Faire preuve d’humanité dans ce contexte bien particulier n’impliquerait pas nécessairement un précédent applicable à toutes les personnes en situation d’itinérance», a souligné la magistrate, invitant à nouveau les parties à discuter pour trouver une solution pérenne en dehors du cadre judiciaire.
«Dix jours, ce n’est pas grand-chose, mais pour nous autres, c’est beaucoup», souligne Michel Chabot, en marge du point de presse. Celui qui campe sous l’autoroute Ville-Marie depuis septembre dernier assure faire encore «confiance» au système: «Ils ne vont pas prendre des gens dans la rue, pis les mettre encore crissement plus dans la rue.»
Nonobstant le délai de grâce, il espère trouver un logement le plus rapidement possible, se disant éreinté de lutter pour sa survivance et pour repousser la vermine.
«En 2023, l’être humain ne devrait pas vivre dans la rue, lâche-t-il en marge de la conférence de presse. Il y en a qui choisissent ce mode de vie là. Moi, je l’ai subi.»